La disparition d’Agathe Hilairet, coureuse passionnée de 24 ans, bouleverse bien au-delà du monde du trail. Les réseaux sociaux et les médias s’emparent du sujet avec un flot de conseils souvent anxiogènes : “ne cours jamais seule”, “emporte une arme”, “reste visible à tout moment”. Derrière cette vague d’émotions se joue autre chose : entre précaution légitime, amplification médiatique et réflexes patriarcaux profondément ancrés : comment penser la sécurité des femmes sans céder à une culture de la peur ?
Les femmes peuvent-elles continuer à courir seules ? Courir seule, courir libre : entre peurs réelles et récits amplifiés
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Le choc émotionnel et la mécanique des peurs (pour les femmes quand elles vont courir)
Lorsqu’un drame survient, l’émotion prend le dessus. C’est humain. Face à l’inconnu, à l’incertitude, à la sidération d’une disparition sans explication immédiate, notre premier réflexe est souvent de chercher à comprendre, à se protéger, à reprendre le contrôle. Donner à tout prix du sens à l’inexplicable, quitte à verser dans l’irrationnel.
Mais notre cerveau ne traite pas le risque de manière rationnelle. Il utilise des raccourcis cognitifs : il surestime massivement les risques rares, violents, médiatisés, et sous-estime les dangers fréquents, diffus, quotidiens. Ce biais est connu sous le nom de biais de disponibilité : plus une information est accessible en mémoire (parce qu’elle est frappante, dramatique, répétée), plus elle nous paraît probable.
C’est la même logique qui fait que certains ont peur de l’avion mais pas de la voiture. L’un impressionne, l’autre est banal. Pourtant, statistiquement, c’est la voiture qui est bien plus dangereuse.
Dans le cas d’un drame impliquant une femme disparue en courant, cette perception faussée explose. Le cas devient archétypal. Il touche aux peurs les plus profondes — le monstrueux, l’incontrôlable, le Mal — et déclenche une sur-réaction émotionnelle. C’est compréhensible… mais c’est aussi le point de départ de réponses souvent inadaptées, inefficaces, voire contre-productives.
Derrière les injonctions : la peur comme outil de contrôle
Face à ces émotions, les réponses qui surgissent prennent souvent la forme d’interdits implicites : “ne cours pas seule”, “ne va pas en forêt”, “protège-toi”. Sous couvert de bon sens, ces messages s’inscrivent dans une tradition sociale ancienne : limiter les libertés féminines au nom de leur sécurité.
Les sociologues féministes le documentent depuis longtemps : le patriarcat moderne ne se contente plus de lois ou d’interdits directs. Il agit par l’intériorisation de la peur, par la norme sociale, par l’injonction douce. Il produit une cartographie genrée de l’espace public : certains lieux, certaines heures, certains comportements deviennent “déconseillés” aux femmes — pas aux hommes. Ce n’est pas une stratégie consciente de domination. C’est un héritage collectif. Une culture où les femmes apprennent à se protéger, pendant que les hommes n’apprennent pas à ne pas agresser.
En cela, la peur devient également un instrument de régulation sociale. Elle permet d’affirmer : “ce monde n’est pas pour toi”, sans avoir besoin de le dire frontalement. Et paradoxalement, plus les femmes se protègent, plus la peur semble justifiée, donc légitime, donc renforcée.
La réalité des risques : rareté, mais pas absence
Il faut le dire avec précision : le risque d’agression ou de disparition en courant seule est extrêmement faible. Les statistiques, bien qu’incomplètes, convergent toutes dans ce sens. Les cas existent, bien sûr. Ils doivent être pris au sérieux. Mais ils restent des exceptions — pas des dangers systémiques du running.
En revanche, d’autres risques réels sont souvent oubliés : malaise, blessure, chute, désorientation, surtout en nature. Ces aléas concernent tout le monde, indépendamment du genre.
Il est par exemple bien plus dangereux, en termes statistiques, d’être en couple hétérosexuel en France que de partir courir seule. En 2023, plus de 120 féminicides ont été recensés. Aucun chiffre de cette ampleur du côté des agressions de coureuses isolées.
Mais ces dangers-là sont silencieux, quotidiens, moins spectaculaires. Ils ne nourrissent pas la viralité. Ils ne provoquent pas l’indignation instantanée. Alors mentalement on les ignore plus facilement.
Des mesures de sécurité… sans renoncer à la liberté
Il ne s’agit pas de nier les peurs. Ni de prétendre que courir seule serait toujours anodin. Mais la vraie question est ailleurs : À qui profite l’agitation des peurs ? Qui perd, au contraire, en liberté ? Si courir seule devient tabou, c’est toute une part d’autonomie qui se rétracte. Une façon d’habiter le monde, de s’émanciper, de respirer — surtout pour les femmes. Et c’est inacceptable.
Ce qu’on peut faire, en revanche, c’est construire tous une sécurité sans enfermement :
- Préparer ses sorties : itinéraire, météo, heure de coucher du soleil, signal en cas d’imprévu.
- Être vigilants les uns envers les autres. Prêter assistance et/ou intervenir en cas de doute.
- Partager sa position ou son horaire de retour prévu.
- Avoir un téléphone, une montre GPS, une application de suivi.
- Apprendre à écouter ses intuitions sans tomber dans l’angoisse permanente.
- Et surtout : rappeler que ce n’est pas aux femmes de disparaître de l’espace public pour éviter la violence. C’est aussi aux hommes — héritiers d’une longue histoire de banalisation de la violence — de se saisir de cette question, de déconstruire leurs réflexes, de prendre leur part. C’est à la société entière d’assumer cette responsabilité, en rééquilibrant le poids de la peur, au lieu de le faire porter toujours sur les mêmes épaules.
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