Ecouter cet article sur l’UTMB en Asie
À Chamonix, lors de l’UTMB 2025, un détail n’a échappé à personne : la présence massive de coureurs venus d’Asie. Ils étaient partout.
Des dossards thaïlandais, chinois, vietnamiens, coréens, japonais… au point que certains se demandaient si l’ultra-trail n’avait pas changé de visage. En réalité, ce n’est pas un effet de mode ni une simple ouverture au tourisme sportif.
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La présence massive d’Asiatiques à Chamonix, c’est le résultat de la politique de l’UTMB en Asie
C’est le fruit d’une stratégie parfaitement structurée de l’UTMB World Series. Une stratégie qui repose sur un pilier central : les courses asiatiques labellisées UTMB, en particulier le Major de Chiang Mai, qui attire chaque année des milliers de coureurs à la recherche d’un ticket pour Chamonix.
Cette année, le HOKA Chiang Mai Thailand by UTMB a changé d’échelle
Pour sa sixième édition, l’organisation a proposé une formule inédite répartie sur deux week-ends entiers, entre les montagnes du parc national de Doi Inthanon — surnommé « le toit de la Thaïlande » — et les collines luxuriantes entourant Chiang Mai. L’événement a réuni plus de 7 000 coureurs, dont plus de la moitié venus d’Asie, avec une promesse simple : un parcours spectaculaire, une immersion culturelle forte, et surtout, une vraie chance d’accéder aux finales de l’UTMB World Series. Tous les finishers repartent avec le double de Running Stones. Et pour ceux qui montent sur le podium ou terminent dans les dix premiers de leur catégorie, des dossards directs pour Chamonix sont attribués. L’impact est immédiat : Chiang Mai est devenu une porte d’entrée vers le sommet mondial de l’ultra-trail.
Cette dynamique dépasse largement la Thaïlande
Réduire cette stratégie à une seule course serait une erreur. Depuis trois ans, l’UTMB a investi l’Asie en profondeur, en multipliant les événements qualificatifs sur tout le continent. En Chine, plusieurs étapes sont devenues incontournables, comme Mt Yun by UTMB ou Ailao by UTMB. En Corée du Sud, la Trans Jeju séduit chaque année davantage de coureurs. En Australie, même si l’on sort strictement du continent asiatique, l’Ultra-Trail Australia by UTMB, considéré comme le Major Océanie, attire une majorité de participants venus d’Asie. Tous ces événements offrent des parcours variés, un niveau relevé, une médiatisation croissante et surtout des points d’accès vers les finales. Les coureurs de la région disposent désormais d’un circuit complet pour s’entraîner, progresser, accumuler des Stones et viser une qualification.
L’Asie, marché stratégique pour l’UTMB Group
Le développement de ces courses n’a rien d’un hasard. L’Asie représente un marché clé pour les organisateurs et les marques. La jeunesse des pratiquants, l’essor des classes moyennes sportives, la montée des communautés running urbaines… tous les signaux sont au vert. En installant un Major à Chiang Mai, en doublant les Stones, en diffusant les courses en direct sur UTMB Live et en s’associant à Strava pour comparer les segments, l’UTMB Group a clairement acté que le cœur du trail ne battait plus uniquement dans les Alpes.
À Chiang Mai, l’expérience dépasse largement le cadre sportif. L’organisation mise sur un ancrage local fort avec les communautés Hmong, Pga-Gan-Yaw et Karen, présentes sur tout le parcours. Des actions concrètes sont menées pour réduire l’impact écologique, recycler les déchets, soutenir la lutte contre les feux de forêt et proposer un espace de pratique plus inclusif, notamment pour les femmes — qui représentaient cette année plus d’un tiers des participants. Ce modèle hybride, à la fois compétitif, enraciné et tourné vers l’international, séduit de plus en plus… et explique pourquoi tant de dossards asiatiques finissent par s’aligner à Chamonix.
Un système mondial, une finale localisée
Les Majors UTMB, au nombre de quatre — un par grande région du monde —, ont été conçus pour permettre à chaque continent d’envoyer ses meilleurs coureurs vers les finales mondiales organisées autour du Mont-Blanc, à cheval entre la France, la Suisse et l’Italie. Chiang Mai pour l’Asie-Pacifique, Val d’Aran pour l’Europe, Kodiak Ultra Marathons en Californie pour les Amériques, Ultra-Trail Australia pour l’Océanie : chacun joue le rôle de rampe d’accès vers le sommet du circuit. Le trail mondial ne se construit plus uniquement depuis Chamonix. Il émerge aussi des forêts humides de Thaïlande, des volcans sud-coréens et des montagnes chinoises.
Alors, quand on s’étonne de voir autant de coureurs asiatiques dans le top 100 du classement UTMB, la réponse est simple : ils ont gagné leur place. Ils ne sont pas là par hasard. Ils reviendront. Et ils seront de plus en plus nombreux. Car ces courses, autrefois vues comme périphériques, sont devenues la base arrière du trail mondial.
Ce n’est pas la mondialisation qui interroge, c’est le prix à payer pour exister
Soyons clairs. Voir des coureurs venus de toute l’Asie fouler les sentiers du Mont-Blanc n’est pas un problème. Au contraire. C’est la preuve que le trail, longtemps marginal, est devenu un sport global. C’est aussi un signal fort pour l’image de la France. L’UTMB est une marque mondiale, une vitrine du savoir-faire français. Et que le circuit s’appuie sur des épreuves en Thaïlande, en Chine ou en Australie pour faire grandir la discipline est une très bonne chose.
Ce qui interroge, en revanche, c’est le modèle sur lequel repose cette mondialisation. Un modèle où, pour avoir une chance de courir à Chamonix, certains doivent traverser la planète pour grappiller quelques Stones. Un modèle qui pousse les coureurs à multiplier les courses lointaines, à enchaîner les dossards, à courir sous pression, dans une logique de performance et de classement. Une logique de consommation du trail, pas toujours compatible avec l’idée de pleine nature.
Cette mécanique favorise les élites, ceux qui ont les moyens. Mais elle laisse sur le bord du chemin ceux qui n’en ont ni les ressources financières, ni le temps, ni l’envie. Les traileurs locaux, les anonymes, les passionnés du sentier du coin. Elle soulève aussi des questions écologiques. Peut-on défendre un sport qui se dit durable tout en poussant ses pratiquants à multiplier les vols long-courriers ? Peut-on parler de communauté alors que l’accès aux finales dépend autant du budget que des jambes ?
Ce n’est donc pas la présence d’Asiatiques à Chamonix qui dérange. C’est le principe même de devoir courir à travers le monde pour exister dans un système pensé globalement, mais centré sur une seule vallée. Tant que la croissance de l’UTMB ne s’accompagnera pas d’une réflexion sur l’équité réelle de ses parcours de qualification, le débat restera ouvert.
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