L’édition 2025 de l’Ultramarin avait laissé une cicatrice profonde : des dizaines de milliers de candidats restés sans dossard, des files d’attente qui s’effondraient, des insultes en cascade contre l’organisation et une ambiance de règlement de compte sur les réseaux sociaux.
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Face à ce fiasco, les organisateurs avaient promis une refonte totale du système d’inscription pour garantir davantage d’équité : pré-enregistrement contrôlé, tirage aléatoire, file d’attente séquencée, délai de sept minutes, règle stricte “1 coureur = 1 compte = 1 dossard”. L’objectif affiché était clair : éviter une nouvelle ruée incontrôlable et donner à chacun, quel que soit son niveau ou sa rapidité, la même chance d’entrer.
Mais le 2 décembre, lors de l’ouverture des inscriptions 2026, la réalité a rapidement contredit la promesse. Les témoignages se sont multipliés : files d’attente incohérentes selon les appareils, formulaires bloqués, positions qui s’inversent, messages incompatibles entre eux. L’expérience détaillée d’une coureuse expérimentée — habituée de ces plateformes — permet de comprendre concrètement ce qui s’est passé et d’interroger le fonctionnement réel du système. C’est dans ce décalage entre ce qui devait se produire, ce qui s’est réellement produit et ce que cela révèle de la conception même du dispositif que se situe l’enjeu de cette enquête.
Le dispositif tel qu’il était annoncé
Le système présenté par l’Ultramarin reposait sur une architecture simple en apparence, articulée autour de quatre piliers. L’ensemble était décrit comme un moyen de restaurer l’équité après l’épisode tendu de l’année précédente.
D’abord, un pré-enregistrement sur une fenêtre de trente minutes (11h30–11h59 le matin, 19h30–19h59 le soir). Cette courte période devait permettre à chacun de se signaler pour participer au tirage. L’organisation parlait d’un “enregistrement”, sous-entendant un acte identifié, individuel, unique.
Ensuite venait un tirage aléatoire, lancé pile à midi ou à vingt heures. L’algorithme attribuait un rang à chaque utilisateur, et ce rang déterminait l’ordre réel d’accès. La communication insistait sur l’équité : chacun, quelle que soit sa rapidité de clic, devait obtenir la même chance mathématique.
À partir de là, une file d’attente séquencée était censée orchestrer le passage. Lorsqu’un coureur arrivait en tête, il disposait officiellement de sept minutes pour finaliser l’inscription : remplir ses informations, choisir un sas, valider son paiement. Une fois le délai écoulé, la place revenait automatiquement dans le stock.
Enfin, une règle forte devait garantir l’intégrité : “1 coureur = 1 compte = 1 dossard”. Une manière de prévenir toute tentative de contourner le système par des comptes multiples ou des artifices techniques.
Sur le papier, l’ensemble paraît rationnel. Le problème, c’est que la logique interne du système réel diverge très tôt de la logique annoncée.
Ce qui s’est réellement passé : le déroulé d’un témoignage clé
Le témoignage d’une coureuse expérimentée permet d’observer, étape par étape, comment le système a réellement fonctionné — et où il a divergé. Ce témoignage n’a pas valeur d’exception : c’est un cas typique parmi des centaines de récits similaires.
Le pré-enregistrement ne demande aucune information d’identité
À 11h30, elle se connecte dès l’ouverture de la fenêtre. Le site lui demande de “s’enregistrer pour le tirage au sort”.
En réalité, aucun champ n’apparaît : pas de nom, pas d’email, pas de numéro de licence. Rien du tout. Un seul clic suffit pour apparaître dans la liste des participants au tirage. Plus troublant encore : elle peut se connecter depuis plusieurs appareils simultanément, sans que le système ne détecte ces doublons.
Le pré-enregistrement ne vérifie donc ni l’unicité du coureur, ni même l’existence du compte. Cela contredit directement le principe de base du dispositif.
Le tirage lui attribue un excellent rang, mais…
À midi, l’algorithme la place dans les 200 premières personnes, largement en position d’obtenir un dossard sur une épreuve dépassant les 1 800 places. Lorsque son tour arrive, une fenêtre de sept minutes s’ouvre. Elle remplit les nombreux champs classiques, jusqu’au choix du sas. Mais le menu déroulant obligeant le choix du sas de départ ne répond pas. Aucun moyen de contourner l’obstacle ou d’actualiser la page. Les sept minutes s’écoulent très vite à essayer de résoudre le problème, sans succès. Le système la renvoie vers la file.
Pour cette coureuse, pourtant parfaitement bien classée, la procédure s’interrompt sur un simple bug, impossible à contourner en 7 minutes.
Le soir, la file d’attente se contredit elle-même
À 20h, elle retente. Cette fois, elle utilise plusieurs appareils. Chaque appareil reçoit un rang différent, ce qui démontre encore une fois l’absence de vérification « un coureur, une inscription ». Mais surtout, certains appareils situés au départ “plus loin” dans la file progressent plus vite que ceux au départ mieux classés. Les files n’avancent pas au même rythme, dans le même ordre, ni avec la même logique.
Ce comportement est incompatible avec une file unique et séquencée.
La contradiction ultime
Lorsqu’un appareil finit enfin par obtenir l’accès au formulaire, deux messages apparaissent simultanément :
- “Il vous reste 6 minutes pour valider votre inscription”
- “Les inscriptions sont complètes”
Cela n’a de sens que dans un système où plusieurs personnes peuvent remplir le formulaire en même temps — ce qui contredit le principe même de séquencement.
Analyse : un dispositif qui se contredit à chaque étage
L’analyse de ce cas, confrontée à la logique officielle, met en lumière un ensemble d’incohérences structurelles. Il ne s’agit pas d’un simple bug isolé, mais d’une architecture qui fonctionne différemment de ce qu’elle prétend.
Le pré-enregistrement ne garantit pas l’unicité des coureurs
Sans données personnelles demandées, rien n’empêche les multi-connexions, multi-appareils, multi-navigateurs. Derrière les 21000 personnes connectées en même temps, combien y avait-il de personnes physiques, puisque quelqu’un peut apparaître dans la liste plusieurs fois, depuis plusieurs appareils.
Le système crée un avantage pour les plus technophiles, donc une inégalité structurelle. Cela implique que le tirage n’est pas, dans les faits, égalitaire
La file d’attente affichée n’est pas la file réelle
Les vitesses de progression différentes observées sur différents appareils permettent d’évoquer plusieurs hypothèses techniques (non exclusives)
- La file n’est pas prise dans l’ordre, mais selon une autre logique, ce qui ridiculise l’idée même de “position”.
- La plateforme fonctionne en sous-files parallèles, traitées à vitesses différentes (sharding), ce qui produit des inversions.
- L’affichage de la file d’attente était purement « décorative ».
Dans les trois cas, l’utilisateur n’est pas réellement dans une queue unique, donc la transparence affichée est factice et l’ordre affiché ne correspond pas à l’ordre réel de traitement. Le système peut techniquement permettre à quelqu’un classé 700e d’être servi avant un 200e, ce qui est exactement ce que le témoignage décrit. La promesse d’un tirage équitable suivi d’une queue ordonnée est donc techniquement non respectée.
Le délai de sept minutes est mathématiquement incompatible avec les chiffres
Les sessions de midi et de vingt heures ont abouti chacune à 780 inscriptions en environ quinze minutes. Cela représente environ 1,15 seconde par inscription. Il est déraisonnable de penser que même le traileur le plus rapide arrive à s’inscrire en moins de 2 secondes. C’est donc bien que le système ouvre des dizaines de formulaires en parallèle — et non un seul. Le système ne peut donc mathématiquement pas garantir un délai de 7 minutes dans l’ordre du tirage au sort, à toutes les personnes.
Le système ne réserve pas la place
La situation d’avoir en même temps les messages « 6 minutes restantes » et « inscriptions complètes » démontre que le système ne réserve pas réellement une place pendant les 7 minutes dédiée à l’inscription. Dans un dispositif robuste, lorsqu’un utilisateur ouvre un formulaire, le dossard est temporairement verrouillé. Ce n’est pas le cas ici : plusieurs personnes peuvent remplir un formulaire en concurrence directe pour la même place. Le système te donne “le droit” de t’inscrire, mais ce droit est déjà caduc avant même que tu touches au formulaire.
Au total, le système mis en place ne semble garantir ni l’individualité des inscriptions, ni l’équité, ni diminuer la course au plus rapide, ni la disponibilité du dossard. L’absence d’unicité, la file incohérente, la concurrence simultanée, le verrouillage absent, tout converge vers un constat : le système réellement implémenté n’est pas celui qui a été annoncé. Les effets observés ne sont pas la conséquence d’un bug, mais d’un système d’inscription opaque qui n’a pas tenu ses promesses. En tout cas coté utilisateur, l’expérience d’inscription reste tout aussi violente, frustrante et injuste que l’édition précédente.
Le contre-exemple : quand un système simple et robuste existe déjà
Pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné dans la procédure de l’Ultramarin, il est utile d’observer un modèle comparable mais qui, lui, fonctionne. Le Défi de la Muzelle, épreuve très demandée de l’Oisans, fait face au même problème : une quantité de dossards limitée et une demande largement supérieure à l’offre, avec mise en place d’un tirage au sort. Pourtant, son protocole d’inscription ne génère ni ruée incontrôlable, ni surcharge, ni sentiment d’injustice. Une alternative était disponible, techniquement et logistiquement.
La première différence tient au rythme du processus. La Muzelle n’utilise pas un “rush” à heure fixe. Elle ouvre une fenêtre de plusieurs jours pendant laquelle les coureurs peuvent s’inscrire au tirage au sort. Cette période longue a un effet immédiat : elle évite la concentration de dizaines de milliers d’utilisateurs sur quelques secondes. Chacun remplit tranquillement sa demande d’inscription, sans pression et sans compétition artificielle pour accéder au formulaire.
Le second point est la collecte immédiate et complète des informations. À la Muzelle, un coureur ne se “pré-inscrit” pas en un clic : il saisit d’emblée toutes ses données personnelles, médicales si nécessaires, et s’il souhaite courir en équipe, il indique un nom d’équipe unique. Cela permet à l’organisation de disposer, dès le début, d’une base de données complète, stable et exploitable. Les doublons sont ainsi éliminés naturellement, puisque deux inscriptions identiques ne peuvent pas coexister. Ce travail en amont sécurise la suite du processus.
Une fois la période d’inscription terminée, le tirage a lieu. Et c’est ici que la transparence du modèle apparaît nettement. Le tirage se fait de manière séquentielle, en respectant scrupuleusement les règles annoncées. Lorsque le nom d’un coureur est tiré :
- S’il est inscrit seul, il obtient simplement la place suivante
- S’il fait partie d’une équipe, toute l’équipe est tirée en bloc, et occupe autant de places que de membres
Cette approche est simple, mais elle garantit que les coureurs inscrits ensemble courent ensemble, sans qu’il soit nécessaire de manipuler des files d’attente en direct ou de tenter des connexions simultanées sur plusieurs appareils. Le tirage produit un classement complet, que l’organisation peut ensuite publier ou utiliser pour établir une liste d’attente claire, ordonnée, transparente.
Enfin, et c’est sans doute l’élément le plus important : à aucun moment, la Muzelle n’expose les coureurs à une compétition contre la machine. La procédure est lente, assumée, lisible. Une fois tiré au sort, un coureur sélectionné n’a pas besoin de valider sa place dans une fenêtre de quelques minutes au milieu de centaines d’autres. Il reçoit un email, il dispose d’un délai raisonnable pour payer, et sa place est garantie pendant ce temps. Aucun stress, aucun formulaire qui se bloque, aucun compte à rebours absurde.
Un tel système n’est pas techniquement difficile à mettre en place. N’importe quelle plateforme d’inscription a l’architecture pour créer une liste d’inscrits. Effectuer un tirage au sort séquentiel sans remise est très simple également avec n’importe quel tableau ou script.
Il serait exagéré de dire que l’Ultramarin “aurait dû” adopter exactement ce modèle, car chaque organisation a ses propres contraintes. Mais il est raisonnable de constater que des alternatives fiables existent et qu’ils « auraient pu ». Et que l’écart entre un système fonctionnel (celui de la Muzelle) et un système qui s’écroule sous son propre poids (celui de l’Ultramarin) ne tient pas à la difficulté technique, mais au choix conscient d’une architecture.
Pourquoi un tel système a-t-il été choisi ?
Pour comprendre comment un dispositif aussi fragile a pu être retenu, il faut s’interroger sur les logiques qui ont présidé à sa conception. Rien ne permet d’affirmer une intention malveillante, mais le choix d’un tel système alors que des alternatives existent soulève forcément la question du « pourquoi » ? Nous formulons ici trois hypothèses possibles à ce choix, tout en laissant la porte ouverte à d’autres raisons à ce choix.
La première hypothèse est d’avoir voulu jouer sur la logique du rush, devenue presque un marqueur identitaire de certaines grandes épreuves. Un lancement à heure fixe concentre l’attention, crée une tension collective, génère des messages en direct et renforce l’idée que la course est “hautement désirable”. Pour une organisation, voir des dizaines de milliers de personnes se connecter au même moment peut être perçu comme un signe de prestige. Un tirage étalé sur plusieurs jours — pourtant plus stable et plus équitable — ne produit pas cet effet. Il n’y a pas de moment dramatique, pas d’article de presse, pas de montée d’adrénaline. On peut discuter de la pertinence de cette logique, mais elle existe : une ruée massive donne l’impression d’une épreuve prestigieuse, presque mythifiée par la difficulté d’obtenir une place.
La deuxième hypothèse tient à un point plus technique : la plateforme de bourse aux dossards de Klikego. Ce module interne, intégré depuis plusieurs années, permet des rachats et reventes automatisés, sans intervention des organisateurs. Un système où les inscriptions sont remplies en quelques minutes favorise l’achat d’impulsion et laisse la bourse aux dossards jouer un rôle central dans la redistribution des places abandonnées. Il y a donc un intérêt implicite à maintenir une mécanique rapide, brutale et concentrée : elle garantit que le “second marché” reste actif, visible et fluide.
Enfin, une troisième hypothèse, compatible avec les deux autres concerne la protection technique de la plateforme. Klikego n’est pas une infrastructure conçue pour supporter un afflux de dizaines de milliers de connexions simultanées. Plutôt que de dimensionner l’architecture pour absorber un pic extrême — opération coûteuse, risquée et peu rationnelle pour un événement ponctuel — la solution consiste à intercaler une salle d’attente virtuelle. Cette salle d’attente ne séquence pas réellement les inscriptions, elle les retarde. Cela protège Klikego d’un crash réel, mais au prix d’une dissociation entre ce que voit l’utilisateur et ce que fait réellement la machine. Ce qui est protégé ne semble pas être le coureur et l’équité mais plutôt la plateforme et l’organisateur.
En résumé, un système qui ne tient pas ses promesses
L’ambition affichée par l’Ultramarin était sincère : tourner la page du fiasco de 2025, rendre l’accès plus équitable, apaiser les tensions et restaurer la confiance. Sur le papier, la mécanique choisie semblait aller dans le bon sens : un tirage pour garantir l’égalité, une file d’attente séquencée, un délai raisonnable, et une règle d’unicité destinée à empêcher les contournements.
Pourtant l’analyse des faits le montre : le système implémenté n’a pas fonctionné comme il était annoncé. Le pré-enregistrement n’a pas contrôlé l’unicité des coureurs ; la file d’attente affichée n’a pas reflété l’ordre de traitement réel ; les formulaires se sont ouverts en concurrence directe ; les délais affichés étaient déconnectés du rythme effectif des inscriptions ; et le tirage lui-même n’a pas joué le rôle protecteur qui devait en faire le socle de l’équité. Autrement dit, l’architecture n’était pas alignée avec ses propres objectifs.
Le résultat est sans ambiguïté : le système a donné l’impression d’être équitable, sans en avoir les propriétés techniques. Il a rassuré par la forme, tout en échouant sur le fond. Reste désormais deux questions :
– Pourquoi avoir fait le choix conscient de ce système alors que des alternatives existaient ?
– L’Ultramarin peut-il continuer à promettre l’équité si le modèle choisi ne permet pas de l’assurer dans les faits ?
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Cet article repose sur des observations réelles, des témoignages documentés et une analyse comparative de dispositifs d’inscription utilisés dans le monde du trail. Il ne met en cause ni l’intégrité des organisateurs de l’Ultramarin, ni leur volonté de bien faire, mais interroge la mise en œuvre technique d’un système qui a suscité incompréhension et frustration chez de nombreux participants. Nous restons pleinement ouverts à tout droit de réponse, précision ou rectificatif que l’organisation souhaiterait apporter.





