L’annonce du passage du Parcours Prévention Santé à un Pass payant, fixé à 5 euros et valable un an, a immédiatement déclenché un débat inhabituellement large dans le monde du running, non pas parce que le montant paraît exorbitant, mais parce que ce changement révèle, presque par effet de contraste, toutes les tensions qui traversent aujourd’hui la course à pied française.
En remplaçant un PPS gratuit par un formulaire identique mais désormais facturé, la Fédération française d’athlétisme ouvre une porte qui, pour beaucoup d’acteurs du secteur, dépasse très largement la question de l’accès à un dossard, et interroge à la fois le financement fédéral, la gouvernance du sport, la place des acteurs privés et l’avenir des petites organisations locales déjà fragilisées.
Ce qui frappe d’emblée, c’est l’absence totale d’évolution du contenu : les coureurs payent désormais pour une auto-attestation composée de courtes vidéos pédagogiques et d’un questionnaire, un dispositif qui n’a jamais eu vocation à remplacer le rôle d’un médecin et qui n’offre pas la moindre garantie sanitaire supplémentaire. Cette continuité décalée du tarif fait naître l’impression que l’objectif prioritaire n’est plus la prévention, mais bien la création d’une ressource financière récurrente, prévisible et centralisée, imposée à des pratiquants dont une majorité n’est pourtant pas licenciée. Dans un sport historiquement façonné par la liberté, l’autonomie et les associations locales, cette bascule est loin d’être anodine.
Un dispositif inchangé, mais désormais payant : le cœur du malaise
Le débat sur le PPS n’est pas un débat médical. Il ne porte pas sur le contenu — identique —, ni sur la pertinence de responsabiliser les coureurs. Il porte sur l’obligation de payer pour un document qui ne vérifie rien, n’évalue rien, ne détecte rien et ne remplit aucune fonction de dépistage, ce que de nombreux médecins rappellent depuis des mois. La modernisation présentée comme un progrès masque un glissement beaucoup plus structurel : les coureurs ne paient pas pour une amélioration, mais pour une formalité numérique.
C’est ce décalage entre le discours — la sécurité, la prévention, l’encadrement — et la réalité — un formulaire payant identique à sa version gratuite — qui nourrit l’expression devenue virale : « le Pass Pognon Soutiré ». Elle condense le ressenti dominant : le PPS-payant ne sécurise pas davantage, il centralise une ressource financière. Et ce glissement est d’autant plus sensible que le running s’est justement développé hors des structures fédérales, porté par des milliers d’associations locales, des bénévoles, des petites organisations et des plateformes privées.


Derrière les cinq euros, une manne estimée à dix millions d’euros par an
Les chiffres donnent l’ampleur du sujet. Plus de deux millions de coureurs ont utilisé le PPS gratuit lors des dernières années. Le passage à un tarif de 5 euros représente donc un potentiel d’au moins dix millions d’euros annuels, perçus directement par la Fédération. Dans un contexte où la FFA assume un déficit de 3,6 millions — soit environ dix pour cent de son budget annuel — cette nouvelle ressource apparaît comme un levier stratégique majeur.
C’est précisément là qu’intervient l’effet d’éviction : lorsqu’une institution capte un flux financier qui, auparavant, relevait soit du secteur privé (médecins, plateformes, assurances), soit des coureurs eux-mêmes, elle modifie l’équilibre global du marché. Et lorsqu’un tel mécanisme est appuyé par une obligation réglementaire, il peut — même involontairement — affaiblir des acteurs déjà fragiles, réduire la place des indépendants, renchérir certaines pratiques et, par ricochet, provoquer une destruction d’emplois dans tout un écosystème qui vivait jusque-là de services annexes autour des courses.
Ce déplacement progressif du centre de gravité du running, du local vers le national, du privé vers le fédéral, constitue l’enjeu économique le plus important du nouveau PPS. Et c’est ce transfert qui alimente les inquiétudes des organisateurs, qui ne savent ni comment l’argent sera utilisé, ni quelles retombées concrètes ils pourront en attendre.
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Un écosystème fragilisé : organisateurs, médecins et coureurs dans le brouillard
Les réactions des organisateurs de courses reflètent un malaise plus profond que la simple montée des coûts administratifs. Depuis dix ans, les petites structures affrontent déjà la hausse des primes d’assurance, les exigences environnementales, les contraintes préfectorales et l’augmentation générale des charges. L’arrivée d’une formalité payante supplémentaire, indépendante de leur propre fonctionnement, pourrait décourager les coureurs peu engagés et contribuer à réduire les inscriptions à des événements qui vivent sur des marges très faibles.
Les médecins, eux, pointent un paradoxe : le PPS-payant éloigne encore davantage les coureurs du contact médical au moment même où l’on observe une hausse des pathologies cardiovasculaires silencieuses et une saturation des consultations. Là où un certificat permettait parfois de détecter une anomalie, le PPS-payant se contente d’un questionnaire non supervisé, donnant à certains coureurs un faux sentiment d’aptitude. Plusieurs témoignages récents évoquent même une augmentation des incidents graves depuis la disparition du certificat médical, un point qui exige prudence mais qui nourrit le débat.
Enfin, du côté des coureurs, un phénomène déjà bien visible pourrait s’accélérer : la montée en puissance des “sorties off” et des défis personnels hors cadre officiel. Une frange significative du public annonce qu’elle participera moins aux courses réglementées, non pour économiser cinq euros, mais pour éviter la multiplication des obligations perçues comme déconnectées de leur pratique. Cette dynamique pourrait renforcer la fracture entre une pratique institutionnelle et une pratique libre, avec des conséquences durables sur l’équilibre du running français.
Au-delà de la taxe symbolique : un changement de modèle pour tout le running
La question des cinq euros n’est qu’une façade. Le débat porte sur un basculement beaucoup plus large : la centralisation d’un secteur massivement non fédéré, la création d’un revenu obligatoire dans un sport historiquement libre, la fragilisation potentielle des acteurs privés, la réorientation budgétaire d’une fédération déficitaire, la modification des comportements des coureurs et la remise en question du rôle des médecins. En introduisant le premier élément payant d’un dispositif jusque-là symbolique, la FFA ouvre un nouveau chapitre dans lequel la course à pied pourrait basculer vers un modèle administré, structuré par une logique financière nationale plutôt que par la diversité locale qui faisait jusqu’ici sa richesse.


Il appartiendra aux coureurs, aux organisateurs et aux médecins de déterminer, dans les années qui viennent, si ce modèle constitue une avancée, un risque ou une simple formalisation administrative. Mais une chose est sûre : le Pass Prévention Santé n’est pas un détail, et sa mise en place soulève des questions dont l’ampleur dépasse largement son prix.
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Cet article ne remet pas en cause l’utilité de la prévention ni la légitimité des institutions sportives. Il propose, en toute bonne foi, une analyse des conséquences économiques, organisationnelles et pratiques du Pass Prévention Santé pour l’ensemble du running et du trail, sans défendre aucune position politique ou militante et sans intention de nuire à aucune institution ou acteur du secteur.





