Chaque fin août, Chamonix devient la capitale mondiale du trail. Mais derrière les images de foule et les exploits des champions, l’UTMB Mont-Blanc repose sur une organisation titanesque. Huit courses, trois pays, dix mille coureurs, des centaines de kilomètres de sentiers à baliser et à sécuriser : tout cela ne tient que grâce à une mécanique bien huilée. Ravitaillements en altitude, balisage en plusieurs étapes, plan mobilité trinationale, chaîne de secours médicalisée… Voici les coulisses d’un événement hors norme.
Ravitaillements : une chaîne logistique de haute montagne
Un poste de ravitaillement est l’équivalent d’un petit village temporaire. On y trouve tentes, tables, zones de cuisson, réserves de nourriture et points d’eau. Au total, plus de 40 ravitaillements sont installés pour la semaine de l’UTMB, dont 14 rien que pour la course reine.
Accès et installation
- Zones accessibles : dans les villages et hameaux, le matériel arrive en camion et est stocké dans des conteneurs mobiles.
- Zones isolées : sur des cols ou des vallées reculées, le matériel est acheminé par conteneurs héliportés, déposés quelques jours avant la course. Les bénévoles rejoignent ensuite le site à pied, parfois après plusieurs heures de marche, pour déballer, installer et préparer le poste.
Approvisionnement et autonomie
Chaque poste est pensé pour être autonome plusieurs jours. Certains ne proposent que de l’eau, d’autres une offre complète incluant boissons, fruits, fromages, encas salés, plats chauds. Au fil des années, l’organisation a évolué vers des produits en vrac (barres, gaufres, poudres énergétiques Näak), afin de réduire les déchets d’emballage.
Chiffres-clés
- 195 kg de Beaufort distribués sur la semaine
- 70 kg de focaccia italienne
- 2 000 diots de Savoie
- 2 ravitaillements 100 % végétariens (Arnouvaz et Balme)
L’objectif est double : nourrir efficacement les coureurs avec une offre adaptée (rapide à digérer, riche en énergie) et réduire l’impact logistique en privilégiant les circuits courts.
Encadré – Qu’est-ce qu’il y a au menu ?
Extrait des ravitaillements UTMB 2025 :
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Standard : eau plate et gazeuse, cola, boissons énergétiques Näak (vrac), barres et gaufres Näak (vrac), fruits frais et secs, fromages locaux, encas sucrés et salés.
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Bases-vie : ajout de plats chauds (soupes, pâtes, riz, risotto valdôtain, diots de Savoie).
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100 % végétariens : Arnouvaz (CCC, UTMB) et Balme (OCC).
Balisage : méthode, équipes et nettoyage
Le balisage est crucial : c’est la “signalisation routière” de la montagne. Les coureurs doivent être guidés de jour comme de nuit, sans ambiguïté.
Organisation par portions
Le balisage est organisé tronçon par tronçon :
- Équipe 1 (pose) : trois ou quatre bénévoles installent rubalise et signalétique.
- Équipe 2 (contrôle) : repasse ensuite pour vérifier que tout est lisible, visible de nuit, et conforme au règlement.
- Équipe 3 (dépose et nettoyage) : retire le matériel après le passage des coureurs, et ramasse tous les déchets résiduels, afin de rendre les sentiers intacts.
Matériel utilisé
- 14 000 piquets et environ 9 000 balises réfléchissantes sont préparés chaque année.
- Aucune peinture n’est utilisée : les balises sont fixées mécaniquement et démontées ensuite.
- Les Ambassadeurs de l’environnement complètent ce travail par la signalétique pédagogique : “refermez les portails”, “ne coupez pas les sentiers”, “limitez le bruit près des troupeaux”.
Un travail à double fonction
Ce système garantit la sécurité des coureurs (on ne se perd pas la nuit) et la protection de l’environnement (les balises sont temporaires et démontées immédiatement après la course).
Zéro déchet : discipline et valorisation locale
L’UTMB applique depuis longtemps une politique stricte de gestion des déchets.
Règles pour les coureurs
- BYOU (Bring Your Own Utensils) : depuis 2018, chaque coureur doit emporter son gobelet, son bol et ses couverts.
- Sac-poubelle individuel remis au retrait du dossard.
- Sanction immédiate : tout déchet jeté sur le parcours entraîne une heure de pénalité.
Organisation sur site
- AREMACS (association de gestion événementielle) met en place des zones de tri et collecte plus de 100 m³ de déchets.
- EcoTriVélo, association locale, collecte les biodéchets et les valorise en compost distribué aux agriculteurs de la vallée. En 2023, 700 kg de restes alimentaires ont été traités ainsi.
Innovation sur les boissons
Depuis 2023, toutes les boissons sont servies en vrac, y compris le cola et les eaux pétillantes, grâce à des machines de gazéification. Bilan : plus de 15 000 bouteilles plastiques évitées chaque année.
Navettes : un puzzle transfrontalier
Le transport représente près de 90 % de l’empreinte carbone de l’événement. Pour limiter la circulation automobile, l’organisation impose le système UTMB Mobility.
Comment ça marche ?
- Les coureurs rejoignent autant que possible leurs départs en navette.
- Les accompagnants doivent acheter un pass Mobility donnant accès aux bus desservant les points d’assistance.
- Les navettes circulent toutes les 30 minutes, mobilisant plusieurs dizaines de bus sur trois pays.
Complexité administrative
Organiser ces navettes ne se limite pas à louer des bus : il faut obtenir des autorisations officielles en France, en Suisse et en Italie. Les organisateurs doivent obtenir les autorisation et priorités de passage avec les préfectures françaises, les cantons suisses et les municipalités italiennes, en coordination avec les forces de l’ordre, pour fermer certaines routes et gérer les flux de spectateurs.
En 2024, ce dispositif a permis d’éviter la circulation de plus de 6 000 voitures, soit environ 200 tonnes de CO₂.
Secours : une chaîne médicale à plusieurs niveaux
L’UTMB n’est pas seulement une épreuve sportive : c’est aussi une traversée de haute montagne, parfois de nuit, sur des terrains accidentés. Les risques sont multiples — traumatismes, hypothermie, hypoglycémie, accidents de terrain — et la réponse doit être immédiate.
Une couverture médicale étendue
Tout au long des parcours, on trouve 32 postes de secours fixes, installés dans les villages traversés ou les bases-vie. Ils sont complétés par des équipes mobiles capables d’intervenir en montagne. Le tout est coordonné par un poste de commandement médical centralisé (PC course), qui suit en temps réel la position des coureurs et les alertes émises via radio, téléphone ou application (LiveTrail SOS).
Les effectifs mobilisés
- 30 médecins spécialisés en médecine du sport, médecine d’urgence ou anesthésie-réanimation.
- 80 infirmiers et aides-soignants répartis sur les postes fixes.
- 50 kinésithérapeutes, pour traiter contractures et traumatismes liés à l’effort.
- 30 podologues, indispensables dans une course où ampoules et blessures aux pieds peuvent mettre fin à l’aventure.
À cela s’ajoutent des dizaines de bénévoles formés aux premiers secours, qui épaulent les équipes professionnelles.
Des moyens adaptés à la montagne
- Véhicules 4×4 équipés de matériel médical pour accéder aux points isolés.
- Équipes mobiles pédestres, qui montent sur des portions non carrossables avec sacs de matériel d’urgence.
- Hélicoptères de la sécurité civile mobilisés en cas d’accidents graves, coordonnés avec les préfectures et les services de secours suisses et italiens.
- Réseau radio spécifique couvrant toute la zone, doublé par des liaisons satellitaires pour pallier l’absence de couverture téléphonique.
Un volume d’interventions conséquent
Lors d’une édition type, on compte :
- Environ 1 000 interventions médicales au total,
- Dont 650 soins de confort (ampoules, crampes, petites blessures),
- 5 à 10 évacuations héliportées,
- 15 à 25 hospitalisations.
Ces chiffres montrent que la plupart des interventions sont bénignes, mais que la course nécessite un dispositif lourd pour répondre aux situations plus graves.
L’UTMB Mont-Blanc ne tient pas seulement à ses champions ni à ses paysages, mais à une organisation invisible et monumentale. Ravitaillements en altitude montés à la force des bras, balisage segmenté et nettoyé méthodiquement, dispositifs zéro déchet structurés, plan mobilité transfrontalier et secours médical complet : chaque détail est anticipé.
C’est ce travail patient, mené en coulisses par des milliers de bénévoles et de professionnels, qui permet à 10 000 coureurs de vivre leur aventure, sans saturer les vallées et sans laisser de trace sur les sentiers.
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