Chaque été, les chiffres sont plus alarmants. En Italie par exemple, cet été est particulièrement meurtrier : plus de 100 personnes ont perdu la vie en montagne depuis le 1er juin, soit une moyenne de trois morts par jour. Derrière ce drame statistique, une réalité bien plus complexe se dessine. Car la montagne, hier sanctuaire des initiés, est devenue en quelques années un espace de loisir de masse, surexposé, mal compris, et souvent mal pratiqué.
Trail-running, randonnée, alpinisme : tous les usages sont concernés. Et tous posent la même question : sommes-nous encore capables d’évoluer en sécurité dans un milieu aussi exigeant que la haute montagne ?
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Trop de morts en montagne, la raison principale : une fréquentation hors de contrôle
Il y a d’abord les chiffres bruts. En une décennie, les secours italiens en montagne (CNSAS) ont réalisé autant d’interventions que durant les soixante années précédentes. En France, même tendance : les PGHM et CRS de montagne constatent un boom des appels, notamment en juillet et août. Ce n’est plus une impression, c’est un fait : la montagne est bondée. Et la saturation de certains itinéraires — Tre Cime, Marmolada, lac de Sorapis, Mont Blanc — ressemble parfois à celle d’un parc d’attraction.
Pourquoi cet afflux ? Plusieurs facteurs se cumulent : la chaleur accablante en plaine pousse les vacanciers vers les hauteurs, la mode du trail et de l’outdoor bat son plein, et les réseaux sociaux achèvent de transformer le moindre panorama en spot à selfie. Mais le plus préoccupant reste l’écart entre le niveau réel des pratiquants et la technicité des terrains qu’ils affrontent. Le nombre de débutants engagés dans des courses alpines sans préparation ni encadrement explose. Certains partent en baskets sur des glaciers, d’autres s’engagent sur des via ferrata fermées, d’autres encore confient leur itinéraire à ChatGPT.
Un cocktail de risques : chaleur, imprudence et confiance aveugle
Le profil des victimes se répète : hommes de 50 à 60 ans, souvent italiens, mais aussi jeunes adultes en manque d’expérience, ou seniors mal préparés. Ce qui tue ? Les glissades, les chutes de pierres, les malaises liés à l’altitude ou à l’effort, et les erreurs d’itinéraire. L’effet cumulatif de la fatigue, de l’absence de formation, et de la négligence transforme des itinéraires anodins en pièges.
Les nouvelles technologies ne sont pas étrangères à ce phénomène. Certes, les montres GPS et les téléphones avec fonction SOS ont sauvé de nombreuses vies. Mais elles en mettent aussi en danger : en donnant un sentiment de sécurité artificiel, elles incitent certains à se lancer sans réflexion. Pire : les fausses alertes déclenchées automatiquement par ces appareils saturent les services de secours et coûtent des milliers d’euros aux collectivités. Un hélicoptère, c’est 80 € la minute. Et trop souvent, pour rien.
Une montagne réduite à un décor Instagrammable
Mais le vrai changement, plus profond, est culturel. On ne va plus en montagne pour s’immerger dans la nature ou pour chercher le silence. On y va pour performer. Pour partager. Pour « cocher » des sommets comme on coche une to-do list. Le trail running — pourtant noble dans sa discipline — n’est pas épargné par cette dérive. Nombre de coureurs sous-estiment les risques de l’altitude, la vitesse amplifiant les conséquences d’une erreur. Et sur les sentiers partagés, les conflits se multiplient : randonneurs bousculés, incivilités, tension croissante.
À force de montrer des corps parfaits sur fond de pics enneigés, de vanter la montagne comme une parenthèse enchantée, les marques et influenceurs ont contribué à cette banalisation. Comme si la montagne était un simple terrain de jeu. Mais elle ne l’a jamais été. Elle est vivante, changeante, exigeante. Et elle ne pardonne pas l’arrogance.
Faut-il interdire ? Former ? Faire payer les secours ?
La question n’est plus de savoir s’il faut réagir, mais comment. Des voix s’élèvent pour rendre obligatoire une formation minimale pour accéder à certains itinéraires. D’autres réclament que les secours soient facturés aux imprudents. L’Italie a déjà infligé une amende de 14 000 € à un Britannique secouru sur une via ferrata interdite. En France, les secours restent gratuits, mais jusqu’à quand ?
Une autre piste, plus pragmatique, consisterait à faire massivement de la pédagogie. Réintégrer les règles de base dans l’espace public : partir tôt, vérifier la météo, ne jamais surestimer ses capacités, prendre une carte papier, savoir renoncer. Et peut-être surtout, sortir du culte de la performance. La montagne, ce n’est pas Strava.
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