CR premier ultra
Un ultra est une épreuve d’une rare intensité. On a beau tout préparer, on n’est jamais prêt à ce qu’on va y vivre, et heureusement. Car sinon, pas sûr qu’on s’alignerait. De surcroît dans le contexte actuel. Ces derniers jours, semaines, voire mois, j’ai préparé mon Ultra Tour Des Sources (159km, 4441m de D+) sans avoir la certitude qu’il aurait lieu. Ça représentait l’avantage de ne pas être stressé par la course.
Aussi, l’avant-veille du départ, quand on a commencé à comprendre que l’épreuve aurait bien lieu, le stress de la distance est arrivé d’un coup et s’est manifesté par des bouffées de chaleur presque incessantes. Mais pas le temps de tergiverser.
On est samedi 15 août au matin, il est 6h30 et il faut se diriger vers le parc où sera donné le départ. Quand, à 7h20, mon sas s’ouvre sous une musique assez belle, une première émotion assez énorme envahit chaque parcelle de mon corps. A ce moment, je n’en sais encore rien, mais ce n’est que le début.
0-45km : Jusqu’ici, tout va bien
Les premiers kilomètres se passent plutôt bien ; il fait jour, il fait bon, les sensations sont là. On a l’occasion de découvrir des endroits magnifiques dont la beauté vous électrise ; entre la charmille du Haut-Marais et la promenade du Ninglinspo, on en prend plein les yeux, si bien que le premier passe assez bien. Et je ne le sais pas encore, mais une fois ce 45ème km passé, je ne courrai quasiment plus seul pendant cet Ultra Tour Des Sources.
45-62km : Après la pluie vient le beau temps
Après une descente longue de plusieurs kilomètres, un premier pote me rejoint pour courir une petite vingtaine de km. On doit rester un peu plus longtemps que prévu au ravitaillement en raison d’un orage qui a décidé de s’abattre sur la région de Stoumont.
On finit par partir et s’engouffrer dans la forêt, où chaque montée ressemble à un torrent de fortune. Ce coin est très beau, mais je dois bien reconnaître que je suis content de l’avoir fait en reconnaissance quelques semaines auparavant. La pluie laisse place à un grand soleil qui sèche, puis réchauffe. On termine cette portion par une montée bien casse-pattes comme il faut. En arrivant au 62ème km, mon pote s’en va, trois autres arrivent pour le tronçon suivant. Après un café, des sandwichs au fromage, des pommes et des tucs, on démarre pour 18km qui nous mèneront à la mi-course
62-80km : Evolution de la stratégie
Cette partie de course se fait en fin d’après-midi début de soirée. J’y découvre la cascade de Coo et une descente assez technique que j’appréhendais pas mal (de plus, au dernier ravito, j’avais entendu qu’il y avait eu pas mal de casse dedans).
L’avantage est que lorsqu’on se fait une montagne d’un moment difficile, il passe mieux, et ce fut le cas. Désormais, fini de courir ; afin d’éviter d’exploser et s’économiser un maximum jusqu’à la fin de la course, on passe à de la marche rapide (entre 5 et 6 km/h). Sachant qu’il va falloir faire 60km de plus que ma distance maximale, mieux vaut ne pas être trop présomptueux histoire de ne pas se brûler les ailes.
On arrive au ravito de la mi-course, les sensations restent bonnes, pas encore de temps faible. Mes compères s’arrêtent, mon entraîneur leur succède pour m’accompagner pendant 20 à 25km
80-104km : Un début de nuit technique
Au ravito, on a droit à des pâtes bolognaise avec du parmesan. Elles sont peut-
Une fois la base de vie quittée, la nuit est tombée. Et l’humidité avec, si bien que par moments, on se croirait traverser des nuages.
Sur cette portion de parcours, on va prendre plus de 700m de dénivelé dans les cuisses, et on les sent bien passer. Mais comme on dit, ce qui est fait n’est plus à faire. Ce moment est long, car la concentration doit être importante. Au ravito, et alors qu’il reste encore une soixantaine de bornes à faire, on entend des organisateurs dire qu’une quarantaine de coureur a déjà abandonné (soit un tiers des participants, ce qui n’est déjà pas mal).
Au moment de partir, mon entraîneur me laisse pour aller profiter d’un repos bien mérité. Et alors que je devais attaquer seul une vingtaine de km, il m’apprend que dans six à sept kilomètres, deux des trois amis qui m’ont accompagné sur le tronçon vont me retrouver pour ne pas me laisser seul dans la nuit. A ce moment, je n’ai pas les mots ; et je ne le sais pas encore, mais ce sera probablement la clé pour la suite.
104-122km : L’Ultra va commencer
Quitter le ravito n’est pas chose aisée. Le froid arrive, les jambes durcissent, et la fin paraît encore trop conceptuelle. Et pourtant, un moment d’euphorie va se passer. A la base, je rate une balise et fais 200m dans la mauvaise direction. A peine je commence à revenir sur mon chemin, je reçois un coup de fil de l’organisation qui me dit que je suis sur le mauvais tronçon et me demande si tout va bien. Ça avait quelque chose de très sécurisant et ça m’a permis de vivre un moment d’euphorie comme on en a par moments sur des ultras.
Mieux qu’un moment d’euphorie, j’ai eu la chance de m’approcher de la plénitude. Il ne faisait pas trop chaud ; il ne faisait pas trop froid. Pas un nuage dans le ciel, des étoiles à n’en plus finir qui éclairaient la campagne. Le rondo n°485 de Mozart pour m’accompagner. Le tout donne un moment où vous vous sentez quasiment invincible.
Je retrouve mes anges-gardiens aux alentours du 110ème km ; quel soulagement ! On reprend notre chemin pour arriver dans la région des Hautes-Fagnes. Et si je disais en titre de paragraphe que l’ultra allait commencer, c’est parce qu’à ce moment, j’ai pu découvrir (ou redécouvrir) le concept de fatigue. Ça a démarré par l’impression de dormir en marchant, avec les yeux qui se ferment tout seuls et le fait de ne plus marcher droit. Puis les hallucinations, la confusion… Bref, un moment extrêmement difficile où Alain a été (et je pèse mes mots) un véritable ange-gardien. La forme a fini par revenir avec les premiers rayons du soleil.
En arrivant à l’avant dernier ravitaillement, après une soupe au poulet réconfortante au possible, je vais me changer et dormir dix à quinze minutes, sans quoi ça ne va pas aller du tout. Ces quelques instants auront suffi et auront fait beaucoup de bien.
122/135 : L’ascension du plus haut sommet de Belgique
Peu de souvenirs précis de ce moment, si ce n’est que j’avais l’impression d’être plutôt bien. Cette micro-sieste a fait un bien fou, la motivation est là, le ciel est bleu, le soleil nous réchauffe. Ce n’est pas l’euphorie, mais ça y ressemble un peu. Les kilomètres continuent de défiler, et je sais qu’une fois arrivé au signal de Botrange (qui est le plus haut sommet de Belgique ; 694 mètres, s’il vous plait!), plusieurs personnes du club de course sont là pour faire m’accompagner sur les 30 derniers km.
130-147km : Quand le trail devient un sport collectif
En retrouvant le groupe, forcément, l’émotion est forte. Quel plaisir, quelle joie, quel bonheur de les avoir à mes côtés. Sur les dernières heures, on ressemblait presque à la Grande Traversée de Salomon (toute proportion gardée, hein). On part pour 17km de descente qui vont ressembler à un long calvaire. Chaque pas dégomme les pieds et les quadriceps, vous donne envie de chialer votre race. C’est là que la présence des amis constitue un remède des plus délicieux.
Après trois heures, on arrive au dernier ravitaillement. Pour une raison que j’ignore encore, je me prends un coup de stress sur les barrières horaires. Il me reste six heures pour faire 17km et je crains que ça ne suffira pas. Alors on met les petits plats dans les grands, on soigne les petits bobos, on mange, on boit, et surtout, on éteint le cerveau.
147-163km : ça commence à sentir bon
Les kilomètres passent relativement bien, on arrive à maintenir une allure de marche rapide (entre 5 et 6 km/h). On dépasse quelques coureurs qui semblent au bout de leur vie. Et quand la barre des 10km restants passe, on commence à se dire que ça sent bon, à prendre la mesure de ce qu’on a fait, et forcément, on commence à être fier et à être porté.
Pour les deux trois derniers km, mon entraîneur nous rejoint, de même que mes ange gardiens. Tout se fait dans une euphorie bon-enfant et assez dingue. Et quand on voit l’arche d’arrivée, la douleur et la souffrance disparaissent pour laisser place à la fierté et au bonheur d’être entouré par des personnes que, quoi qu’il advienne, vous êtes certain de ne jamais oublier. Simplement car ces moments resteront à jamais gravés.
Et pouvoir fêter ça avec celles et ceux sans qui je n’y serais probablement pas (ou pas aussi bien) arrivé, ça n’a pas de prix. Tous les remerciements ne suffiraient pas à prendre la mesure de la gratitude et de la reconnaissance que j’ai pour eux.