L’océan, plus impitoyable que la montagne
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Alpes, au-delà des limites
Mathieu Blanchard pensait avoir tout affronté.
Le froid mordant des nuits sur les hauteurs de l’UTMB, les hallucinations d’un esprit fatigué sur les pistes poussiéreuses de la Western States, les descentes à la limite du supportable sur les volcans réunionnais de la Diagonale des Fous. Mais en embarquant le vingt‑six octobre à bord de l’IMOCA MSIG Europe, aux côtés du skipper néo‑zélandais Conrad Colman pour traverser l’Atlantique lors de la Transat Café L’Or, Mathieu Blanchard s’est retrouvé face à un adversaire autrement plus impitoyable que la montagne : l’océan.
Trois jours pour tout faire vaciller
À peine trois jours après le départ, les symptômes s’invitent sans prévenir. Le mal de mer, d’abord discret, devient violent. Il vomit sans interruption, incapable de garder la moindre nourriture, même une gorgée d’eau. La déshydratation gagne du terrain. Les muscles s’ankylosent, le cerveau tourne au ralenti, et le froid s’infiltre jusque dans les os. Son corps vacille. Son mental vacille. Il grelotte, il tremble, et dans un éclair de lucidité douloureuse, il pose cette question à haute voix : et si je demandais à rentrer ?
Aucune échappatoire, pas même le doute
Ce doute n’a rien à voir avec celui d’un ultra. En trail, même au plus bas, il existe toujours une porte de sortie : on peut marcher, se réfugier au poste de secours, abandonner et regagner le confort d’un foyer. Mais sur un voilier lancé au cœur de l’Atlantique, aucune échappatoire n’existe. Pas de sentier balisé. Pas de ravito salvateur. Pas de refuge ni d’hélicoptère. Seule l’inertie de la mer, son tumulte, et l’obligation de continuer, parce que le rivage est à des milliers de kilomètres, dans toutes les directions.
Un environnement qui brise les certitudes
L’océan ne récompense pas, il impose
Et c’est précisément là que l’histoire prend une autre dimension. La mer ne récompense pas. Elle ne s’apprivoise pas. Elle impose son tempo, son langage, ses règles. Mathieu, champion d’ultra‑endurance, homme de chiffres, d’allure maîtrisée, de plans de course millimétrés, découvre soudain un univers où la maîtrise est une illusion, où le rythme est dicté par le vent, les vagues et l’instinct de survie. Chaque mouvement devient une épreuve, chaque manœuvre un combat. Il ne court plus, il ne gagne plus. Il tient bon, simplement.
Un dépouillement physique et mental
Son coéquipier, lui, a déjà vécu l’enfer du Vendée Globe. Il sait que les tempêtes extérieures ne sont rien comparées aux tourments intérieurs. Mais Mathieu, lui, apprend dans la douleur. Ce baptême océanique, il le vit comme un dépouillement. Un désapprentissage de tout ce qu’il sait, un effondrement des certitudes, un retour brutal à la fragilité humaine. Et pourtant, il s’accroche. Il ne cherche pas à gagner. Il cherche à traverser. Et dans cette traversée, il trouve autre chose que de la performance : une forme de vérité nue, qu’aucun sommet n’avait encore su lui révéler.
Ouest-France y va fort avec son titre.

Le média régional a osé la question choc : « Un imposteur sur la Transat Café L’Or ? » Une formule provocatrice, révélatrice du décalage ressenti entre la rigueur du monde de la voile professionnelle et l’irruption d’un traileur médiatique venu découvrir l’océan de l’intérieur.
Une étiquette lourde à porter
Il faut dire que dès le départ à Lorient, tous les regards étaient tournés vers lui. Figure populaire du trail français, vainqueur de la Diagonale des Fous en deux mille vingt-quatre, finaliste de Koh Lanta, Mathieu Blanchard débarquait sur le ponton avec ce badge autour du cou, ce mot inhabituel pour lui : « skipper ». Un mot qui ne dit rien de la VMA ou des blocs de seuil, mais tout du respect que commande l’expérience en mer.
Il l’a confié dans une vidéo filmée à bord, avec la sincérité qu’on lui connaît : il ne se sent pas légitime de porter ce titre. Pas qu’il doute de son engagement ou de sa volonté. Mais ce mot, dans un monde aussi codifié que celui de la voile, lui semble trop grand, trop chargé, presque déplacé. Il exprime un malaise discret, une gêne assumée face à un rôle qu’il n’a pas encore eu le temps d’habiter pleinement.
Et en un sens, c’est exactement ce que l’océan va lui rappeler.
Un projet né d’une rencontre
L’inspiration du Vendée Globe
Pour comprendre ce qui l’a mené là, il faut remonter plusieurs mois en arrière. Ce jour précis où, spectateur fasciné, il assiste au départ du Vendée Globe. L’émotion le submerge. Il comprend alors qu’un autre monde existe. Celui de la mer, de l’inconnu, du silence à perte de vue. Il en parle à Conrad Colman. La connexion est immédiate. L’un parle de montagne, l’autre parle de vent. L’un gravit, l’autre navigue. Mais tous deux cherchent la même chose : franchir les limites.
Un pacte entre deux univers
Ils scellent un pacte simple, sincère, loin des logiques de sponsoring ou de stratégie de performance : Mathieu participera à une transatlantique, Conrad participera un jour à un trail. C’est dans cet esprit que naît le projet. Un projet d’échange, de découverte mutuelle, de mise en danger choisie. Le plan initial était même poétique : arriver en Martinique, poser les sacs, et quelques heures plus tard, s’aligner au départ de la TransMartinique, une course de cent trente‑quatre kilomètres et plusieurs milliers de mètres de dénivelé. Une sorte de « duathlon » improbable entre océan et jungle.
Quand le romantisme laisse place à la réalité
Le rêve qui s’effondre
Mais ça, c’était avant. Avant les vagues, avant la fatigue, avant les vomissements. Rapidement, le romantisme du projet cède la place à l’urgence de survivre. Le nouvel objectif devient clair : tenir debout jusqu’à Fort‑de‑France. Ne plus rêver d’enchaîner deux exploits. Juste espérer voir le soleil se lever sur une mer moins agitée, pouvoir manger sans vomir, et garder un peu de lucidité pour barrer.
Le classement ? Secondaire
La position du bateau au classement importe peu. MSIG Europe est dans le bas du tableau. Mais dans cette course‑là, le classement ne reflète rien. Ce n’est pas une compétition entre bateaux. C’est une rencontre entre deux mondes. Un pas l’un vers l’autre. Et pour Mathieu, c’est une immersion complète, radicale, brutale.
Un effort qui dépasse le sport
Plus aucun plan ne fonctionne
Sur un trail, l’effort peut être planifié. Les montées, les descentes, les ravitaillements. Mais sur l’eau, aucun plan ne tient. Seule l’endurance mentale fait la différence. Et quand l’envie d’abandonner surgit, quand l’idée même de demander à rentrer devient pensable, alors on comprend que ce n’est plus une aventure sportive. C’est un basculement existentiel.
Le vrai sens de cette Transat Café L’Or
Mathieu Blanchard n’est pas en quête d’une victoire en mer. Il ne cherche ni chrono, ni record, ni validation extérieure. Il cherche quelque chose que ni les sentiers ni les chronomètres ne peuvent offrir : une vérité plus intérieure. Celle qu’on découvre quand tout s’effondre, quand même le corps n’obéit plus, et qu’il ne reste qu’un choix fondamental : avancer ou sombrer.
Sur l’Atlantique, il n’y a pas de sommet à atteindre. Il n’y a qu’une ligne d’horizon fuyante, qui ne cesse de reculer, comme une métaphore du dépassement de soi.
Et si Mathieu Blanchard a pensé à abandonner, ce n’est pas parce qu’il était trop faible. C’est parce qu’il est entré dans un territoire où les repères explosent, où l’humilité devient la seule boussole fiable.
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