Il raconte aujourd’hui au Parisien* ce qu’il n’arrive toujours pas à se remémorer lui-même : la nuit où il a chuté sur cent mètres dans la boue, en plein cœur du Trail du Haut Giffre, et où des traileurs l’ont retrouvé inerte, persuadés qu’il était mort.
Un an et demi après ce drame qui a secoué la communauté trail, Olivier vit encore avec un corps cabossé, une mémoire trouée et des séquelles tenaces qui lui rappellent chaque jour que la montagne ne laisse jamais passer une erreur sans conséquence.
Dans ce récit bouleversant confié au Parisien, il revient sur la pluie glaciale, la pente ravinée, les cordes qu’il a saisies avant que tout ne s’efface et sur cette reconstruction lente qui ressemble à un autre ultra — un ultra dont la ligne d’arrivée n’existe pas vraiment. Pour les traileurs, son témoignage résonne comme un rappel brutal de ce que signifie engager son corps dans la montagne quand les éléments se déchaînent.
La nuit aurait dû être celle d’un ultra comme tant d’autres, avec son froid mordant, ses passages engagés et ces moments où la montagne impose sa loi. Mais pour Olivier, cette nuit du 15 juin 2024 restera celle où tout a basculé. Son corps continue aujourd’hui encore de raconter ce que sa mémoire a effacé.
Retour sur le drame du trail du haut griffe
L’Ultra Trail du Haut Giffre est connu pour ses décors grandioses, ses passages suspendus et cette pointe d’Angolon qui, chaque année, place les traileurs face à un mur vertical où la vigilance devient une question de survie. Cette nuit-là, la montagne était hostile. La pluie, le froid, la boue transformaient chaque appui en pari. Pour Olivier, pour ses amis de club, pour les centaines de frontales en file indienne, la moindre glissade pouvait être fatale. Les minutes précédant sa chute se sont effacées de sa mémoire, mais les blessures, elles, sont restées.
Une descente sous la pluie, puis un trou noir de 25 heures
Olivier, traileur expérimenté, avait pris le départ avec la prudence de celui qui connaît la montagne. Mais après le premier ravitaillement, les éléments se déchaînent. La pluie martèle les rochers, le froid saisit les muscles, la pente se transforme en toboggan saturé de boue.
Arrivé à la pointe d’Angolon, il suit les consignes des bénévoles, saisit la corde, entame la descente. C’est la dernière scène dont il se souvient. Les vingt-cinq heures suivantes s’effacent totalement. Ce sont les données de sa montre, les récits des secouristes improvisés et le rapport des organisateurs qui lui permettront plus tard de reconstruire l’enchaînement.
Sa montre enregistre une brutale accélération verticale : cent mètres dévalés sans contrôle. Son corps est stoppé net par un goulet étroit qui lui sauve la vie.
Secouru par des traileurs qui l’ont cru mort
C’est Julien, montagnard expérimenté, qui atteint le premier son corps. Dans le fracas de la pluie, la nuit glaciale, il le trouve face contre terre. Pendant quelques secondes, il le croit mort. Puis un signe infime le convainc que l’espoir existe encore. Il le retourne, lui parle, lui enlève ses vêtements détrempés pour prévenir l’hypothermie, pose une couverture de survie contre sa peau. Antoine, un deuxième concurrent, descend lui aussi pour aider.
Dans le même temps, un autre coureur de son club chute également, heureusement sans blessure grave. Il porte secours à Gaël, un concurrent en détresse, qui décédera d’un arrêt cardiaque après sa chute. Ce moment laissera une trace profonde chez tous les témoins.
Un corps en miettes et des séquelles invisibles
À l’hôpital, le diagnostic tombe : traumatisme crânien, hématome sous-dural, fracture de l’épaule, contusions multiples, visage tuméfié, hypothermie sévère (32°C) et un rythme cardiaque tombé à 34 bpm. Olivier reste hospitalisé une semaine avant d’entamer une convalescence longue et incertaine.
Les blessures les plus lourdes seront pourtant invisibles. Le traumatisme crânien engendre des troubles de l’équilibre, une fatigue chronique, des difficultés de concentration, des pertes de mémoire et des paresthésies persistantes dans tout le côté gauche du corps. Même sa perception du goût s’est transformée.
Psychologiquement, la chute laisse elle aussi des traces profondes : nuits d’angoisse, réveils paniqués, hypersensibilité émotionnelle. Sa reconstruction passe par une équipe médicale dévouée… et une patience immense.
Revenir sur les lieux pour réapprendre à respirer
Un an plus tard, Olivier et plusieurs “rescapés d’Angolon” remontent ensemble sur place, lors de l’édition 2025. Cette fois, la course est arrêtée pour cause de canicule, mais la symbolique reste intacte. Revenir en plein jour, avec ceux qui l’ont soutenu, lui permet d’apaiser une part de ce traumatisme.
Il ne recourra plus jamais la nuit, mais il a repris des petites distances, la natation, le vélo. En juin 2026, il s’alignera sur le triathlon de Deauville — non pour le chrono, mais pour prouver à lui-même qu’il peut encore avancer.
Le drame du trail du Haut Griffe questionne le trail moderne
L’accident du Haut Giffre rappelle la fragilité qui plane toujours au-dessus des courses engagées. Intempéries violentes, passages techniques, files compactes de coureurs exposés : l’enchaînement de facteurs peut transformer un ultra en chaos.
Sans accuser personne, le témoignage d’Olivier souligne une vérité trop souvent oubliée : le trail est magnifique, mais il peut aussi briser des vies, même celles des plus prudents. Et les séquelles ne disparaissent pas une fois la ligne d’arrivée franchie.
En résumé, Olivier ne recherche pas le statut de miraculé. Il veut simplement vivre, bouger, partager davantage avec les siens.
L’accident a bousculé sa relation au sport, mais renforcé son rapport à la vie. Pour lui, la véritable arrivée n’est plus celle d’un chrono, mais celle d’une journée vécue sans crainte, sans douleur écrasante.
Son histoire n’est pas une mise en garde, mais un rappel : derrière chaque dossard se cache une fragilité humaine, et parfois des cicatrices qui poursuivent leur propre course longtemps après l’ultra.





