Sainte-Catherine, c’est là que le cerveau décroche. Pas les jambes.
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Il y a des kilomètres plus durs que les autres. Des bosses plus raides. Des descentes plus traîtresses. Mais il y a surtout des endroits où l’on baisse les yeux. À la SaintéLyon, cet endroit s’appelle Sainte-Catherine. Ce n’est même pas la moitié du parcours — à peine le trente-quatrième kilomètre — mais c’est là que les abandons s’empilent. Pas parce que les corps lâchent. Parce que les têtes flanchent.
Quand vous entrez dans le gymnase de Sainte-Catherine, il fait chaud. Il y a des tables, des chaises, du café, de la soupe. Et à quelques mètres, des bus. Allumés. Chauffés. Alignés. Prêts à vous ramener. Leur présence est silencieuse, mais toxique. Vous n’avez même pas besoin de les regarder longtemps. Il suffit d’une seconde. Un regard posé par fatigue ou par curiosité. Et tout votre plan de course peut basculer. Ne faites pas cette erreur. Ne regardez pas les bus.
La course commence bien avant. Mais le vrai tri se fait ici.
Sainte-Catherine est le deuxième ravitaillement de la Saintexpress, juste après Saint-Christo (KM19) et avant Le Camp (KM45). C’est là qu’on entre dans la nuit froide avec déjà quelques heures dans les jambes. Ce n’est pas encore le chaos, mais ce n’est plus l’euphorie du départ. Le peloton s’est étiré, la fatigue s’est installée. Et c’est là que le doute aime frapper.
Ceux qui n’ont pas assez mangé commencent à vaciller. Ceux qui sont partis trop vite commencent à peiner. Ceux qui pensaient que « ça passerait » avec juste une couche de plus se rendent compte que leurs gants sont trempés, que leurs cuisses tirent, que leur moral tangue. Et comme par hasard, à ce moment-là, les portes des bus de rapatriement restent grandes ouvertes.
Ces bus n’existent que pour une chose : vous faire douter.
Ils sont là pour l’organisation, certes. Mais dans votre tête, ils sont là pour autre chose. Ils incarnent l’abandon. Ils sont la matérialisation d’un soulagement immédiat. Vous êtes crevé, vous avez froid, vous en avez marre — et là, on vous offre une sortie de secours, toute prête, toute chaude. Ce n’est pas un piège volontaire. C’est pire que ça : c’est un piège logique. Un piège que vous ne verrez pas venir si vous arrivez à Sainte-Catherine sans un plan précis.
Ne réfléchissez pas. Exécutez ce que vous aviez prévu.
Ce point de ravitaillement, vous devez l’avoir visualisé. Vous savez ce que vous allez y faire. Vous entrez, vous buvez, vous mangez, vous remplissez. Vous ne vous asseyez pas. Vous ne consultez pas votre montre. Vous n’envoyez pas de message. Vous ne débattez pas avec votre partenaire de course. Vous exécutez. Et vous repartez. Plus vite vous sortez de là, plus vous êtes fort.
Chaque minute passée sur place augmente le risque. Le risque d’apercevoir un coureur qui abandonne. Le risque d’entendre une phrase comme « moi j’arrête ici, c’est déjà bien ». Le risque de croiser le regard d’un bénévole qui vous propose de monter dans le bus « si vous voulez, y’a de la place ». Ce ne sont pas des ennemis. Ce sont des reflets. Ils reflètent vos doutes. Ils les nourrissent. Et s’ils prennent racine, c’est fini.
La SaintéLyon n’a pas de mur. Elle a Sainte-Catherine.
Sur un marathon, on parle du mur du trentième. Sur un ultra, du moment où le corps s’effondre. À la SaintéLyon, ce n’est pas physique. C’est mental. Sainte-Catherine est le vrai tri de la nuit. Ceux qui repartent de là finissent à Lyon. Ceux qui hésitent y laissent leur course. C’est aussi simple que ça.
Et ce n’est pas une question de niveau. Des élites ont déjà abandonné ici. Des finishers d’ultras de 100 miles aussi. Parce que dans la nuit, sous la pluie, après trente bornes glaciales, tout peut vaciller. C’est précisément pour ça qu’il faut être programmé. Pas motivé. Programmé. Comme un automate.
Si vous passez Sainte-Catherine, tout le reste s’aligne.
Après Sainte-Catherine, vous glissez vers Lyon. Le Camp, Soucieu, Chaponost… Ce sont des noms qui sentent déjà l’arrivée. La distance restante diminue. Le jour se lève parfois. Votre cerveau recommence à croire. Et vos jambes suivent. Il y aura encore du bitume, des montées, des descentes techniques. Mais la vraie épreuve est derrière vous.
Parce que vous avez résisté à la tentation de l’abandon. Parce que vous avez traversé le cœur de la nuit sans flancher. Et surtout, parce que vous avez compris que les bus, là-bas, n’étaient pas là pour vous sauver. Ils étaient là pour vous narguer.
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