uTrail décrypte les arguments de la FFA concernant le nouveau PPS payant, ECOUTER CET ARTICLE
On a lu attentivement les réponses d’Emmanuelle Jaeger, présidente déléguée de la Fédération française d’athlétisme, aux questions posées par Nicolas Mangeard, journaliste running pour Ouest-France.
Un entretien très argumenté, très cadré, où la FFA tente de défendre sa stratégie autour du nouveau Pass Prévention Santé payant. Mais malgré la précision des mots choisis, on a encore du mal à comprendre.
En quoi était-il vraiment nécessaire de faire payer un dispositif censé garantir l’accès à la course à pied pour tous ?
En quoi cette mission de “service public”, invoquée à chaque réponse, justifie-t-elle de créer une barrière à l’entrée pour des coureurs qui, jusque-là, n’avaient besoin de personne pour courir, s’entraîner et participer à des épreuves ?
Car ce que révèle cette séquence, au fond, c’est un paradoxe : la Fédération affirme vouloir accompagner un mouvement qu’elle n’a pas initié… en lui imposant une formalité qu’il n’a jamais demandée.
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Il aura suffi d’une ligne dans un plan fédéral pour rallumer la mèche. Désormais, le Pass Prévention Santé coûtera cinq euros.
Une somme modique (si elle n’augmente pas au fil des années), certes. Mais un symbole puissant : celui d’une Fédération française d’athlétisme qui, après des années d’absence dans le paysage du running amateur, tente de reprendre la main sur une pratique qu’elle n’a ni initiée, ni accompagnée, ni encadrée. Et qui, pourtant, n’a jamais cessé de croître.
La FFA n’a jamais eu le monopole du running
La course à pied sur route ou en nature, hors championnats officiels, n’a jamais été une discipline réservée à la Fédération. La plupart des épreuves en France sont organisées en dehors d’elle, via des associations ou des sociétés privées, avec simple déclaration en préfecture et assurance adaptée.
Pourquoi c’est important ?
Parce que la FFA justifie aujourd’hui le PPS payant au nom d’une mission de service public… sur une pratique qu’elle n’a ni encadrée, ni structurée, ni portée pendant vingt ans. C’est cette tentative de reprise en main qui inquiète.
Depuis l’annonce, les réactions s’enchaînent. Coureurs, organisateurs, observateurs dénoncent pêle-mêle une absence de concertation, une taxe déguisée, une centralisation qui ne dit pas son nom.
Face à cette fronde, la FFA a dégainé son argument phare : la mission de service public. Dans un long entretien accordé à Ouest-France, sa présidente déléguée, Emmanuelle Jaeger, plaide pour un plan global d’accompagnement, où le fameux PPS payant ne serait qu’un rouage parmi d’autres. Le problème, c’est que ce discours oublie une réalité simple : les Français n’ont pas attendu la Fédération pour courir.
Le running se portait déjà très bien
La justification répétée d’Emmanuelle Jaeger est limpide : en passant le PPS à un an de validité, et en l’assortissant de contenus sur la prévention, l’alimentation ou la santé, la FFA souhaite « répondre à une demande ». Celle de coureurs qui, selon elle, réclameraient un encadrement, une orientation, des conseils. Pourtant, depuis vingt ans, les plateformes privées, les clubs hors FFA, les coachs indépendants, les blogs spécialisés, les groupes Facebook et les applications d’entraînement ont déjà comblé ce besoin. Les vidéos de prévention ? Elles existent déjà par centaines. Les conseils nutritionnels ? Ils abondent. Les planifications ? Elles sont diffusées gratuitement par des passionnés bien plus visibles que la Fédération.
Et surtout : les courses sont pleines. L’engouement est réel, massif, transversal. Il ne s’est pas construit grâce à la FFA. Il s’est développé malgré son absence.
Un service public… monétisé
« C’est une somme symbolique », répète la Fédération. « Deux gels ». Sauf que cette symbolique a un prix collectif : dix millions d’euros. C’est elle qui le dit. Deux millions de personnes ont validé un PPS l’an dernier. À cinq euros l’unité, la bascule vers le payant pourrait générer une manne annuelle à huit chiffres. Ce n’est plus de la prévention. C’est une nouvelle source de revenus.
La FFA se défend d’en faire une réponse à son déficit (3,6 millions d’euros). Elle parle de stratégie, de développement, de renforcement du tissu fédéral. Mais les coureurs, eux, voient surtout l’apparition d’une contrainte là où la liberté régnait. Car ce pass, qu’on le veuille ou non, devient une porte d’entrée obligatoire pour accéder à certaines compétitions. Et il est désormais payant.
LA MISSION DE SERVICE PUBLIC DE LA FFA NE S’APPLIQUE PAS À TOUT LE RUNNING
La Fédération française d’athlétisme exerce une mission de service public par délégation de l’État, comme prévu aux articles L.131-14 à L.131-17 du Code du sport. Cette délégation lui permet d’encadrer certaines pratiques officielles de l’athlétisme, notamment sur piste et dans les compétitions labellisées. En pratique, cela signifie qu’elle peut organiser des championnats, délivrer des licences, former les officiels, attribuer des labels, ou encore sélectionner les membres des équipes de France. Elle peut aussi édicter des règlements techniques… mais uniquement dans le cadre fédéral qu’elle contrôle.
Elle n’a en revanche aucun monopole sur la course à pied
La majorité des courses sur route, des trails et des événements running en France se déroulent sans encadrement fédéral : ils sont déclarés en préfecture, assurés par des structures privées ou associatives, et fonctionnent très bien sans l’intervention de la FFA. Cette dernière n’a pas autorité pour interdire, réguler ou structurer des événements non labellisés. Elle ne peut pas imposer de règles aux plateformes d’entraînement, aux coachs indépendants ni aux contenus diffusés par les acteurs privés du secteur.
Ce que cela change pour le PPS
En invoquant sa mission de service public pour justifier le passage du PPS au modèle payant, la FFA donne l’impression d’élargir son champ d’action au-delà de sa délégation légale. Elle cherche à devenir l’interlocuteur central d’un écosystème qui ne dépend pas d’elle juridiquement, et qu’elle n’a jamais véritablement structuré. Cela interroge sur sa légitimité à imposer une contribution financière à des coureurs qui ne lui doivent rien.
La Fédération veut reprendre la main
L’entretien accordé à Ouest-France contient une phrase qui ne laisse plus place au doute. Lorsqu’on demande à la FFA si ce plan est une façon de redevenir l’acteur principal du running en France, la réponse est nette : « Exactement ».
C’est là que tout se cristallise. Car cette volonté de centralisation s’accompagne d’un constat flagrant : le running amateur s’est autonomisé. Il s’est affranchi des structures historiques. Il s’est bâti sur des logiques d’agilité, de partage, de liberté. La Fédération le reconnaît à demi-mot : « Il n’y avait pas de cohérence. Notre action était morcelée. » Elle n’a pas su anticiper l’explosion des courses nature, du trail, du gravel running. Elle n’a pas vu venir la vague numérique, ni les communautés autogérées. Aujourd’hui, elle tente de reconstruire une cohérence par le haut. Mais c’est oublier que l’énergie du running est venue, au fil des années, de la base.
Des contenus que personne n’a réclamés
Ce que la FFA appelle « accompagnement » se matérialise par des vidéos pédagogiques, dont la première, dit-elle, serait consacrée à la prévention des blessures… en trail. Pourquoi pas. Mais quel coureur attend réellement ce type de contenu de la part d’une fédération ? Qui a eu besoin de la FFA pour apprendre à gérer ses tendons, choisir ses chaussures ou planifier sa saison ? Ce rôle est déjà tenu par une myriade d’acteurs — souvent plus proches, plus réactifs, plus en phase avec le terrain.
L’argument du service public, martelé pour justifier la monétisation du PPS, s’effondre face à une évidence : personne ne demandait à la FFA de venir structurer un monde qui fonctionne déjà très bien.
Un sentiment d’imposition sans dialogue
Autre faille dans le discours fédéral : la concertation. Interrogée sur le sujet, la FFA répond qu’elle a échangé avec « certains organisateurs », mais « pas forcément ceux qui râlent aujourd’hui ». Là encore, le malaise est profond. Car si la Fédération veut redevenir centrale, elle ne peut ignorer ceux qui tiennent debout, au quotidien, l’édifice du running amateur : les organisateurs locaux, les petites structures, les bénévoles. Sans eux, pas de dossards. Pas de courses. Pas de mouvement.
Or, c’est précisément eux qui se voient imposer un pass devenu payant, sans contrepartie directe. Ils n’en toucheront rien. Ils devront le faire respecter. Et ils n’ont pas été écoutés.
En résumé, on peut comprendre l’intention. On peut même saluer certaines ambitions — fluidifier les démarches, structurer l’offre, produire des contenus utiles.
Mais ce que l’entretien de la FFA révèle surtout, c’est un décalage profond entre une fédération qui cherche à revenir dans le jeu… et un univers qui a appris à avancer sans elle.
Le running ne s’est pas construit autour de la FFA. Il s’est bâti autour de la passion, de la débrouille, de l’envie de liberté. Aujourd’hui, on demande à ces coureurs de payer pour accéder à ce qu’ils avaient déjà conquis. Et cela, même cinq euros ne suffiront pas à le faire oublier.
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Mention éditoriale : Cet article s’appuie sur les déclarations officielles d’Emmanuelle Jaeger dans Ouest-France le 17 novembre 2025. Sa reprise s’inscrit dans une analyse critique de l’impact du PPS sur le monde du running amateur.
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