Ils auraient pu se contenter d’un message de satisfaction.
Saluer la rapidité des inscriptions, remercier les coureurs pour leur confiance, partager l’émotion de voir leur événement complet dès le premier jour. Mais non. À peine les derniers dossards écoulés, la page Run in Pyrénées a tenu à exprimer… son étonnement. Un étonnement teinté de doute, presque d’incrédulité : pourquoi tant de monde, si vite ? Et surtout, ces traileurs savent-ils réellement ce qu’ils viennent chercher ?
La phrase n’a rien d’insultant en apparence. Mais son sous-texte, lui, a fait grincer des dents. Parce qu’en pointant les « coureurs prestement connectés », l’auteur semble désigner une catégorie bien précise : celle des néo-traileurs, jugés plus prompts à cliquer qu’à se préparer, plus soucieux du dossard que de la montagne, plus enclins à partager une story qu’à étudier une carte IGN.
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Un rappel à la réalité ou un procès d’intention envers tout ce qui ne vient pas des Pyrénées ?
Dans les heures qui suivent, les commentaires s’enchaînent. Et parmi eux, un message se distingue par sa justesse : « Je lis régulièrement tes articles, mais j’avoue être un peu gêné par le ton, que je trouve un peu condescendant envers les nouveaux traileurs… » Ce lecteur régulier ne remet pas en cause la difficulté du parcours. Il ne nie pas la nécessité d’être préparé. Mais il pointe une fracture : à force de vouloir alerter, certains relais locaux finissent par donner l’impression qu’ils méprisent leur propre public.
Et c’est là que le débat devient passionnant. Car face à cette critique, d’autres lecteurs prennent la défense de l’auteur. Ils rappellent que l’équipe qui entoure le Hautacam vient du terrain, qu’elle cumule des années d’expérience en montagne, qu’elle sait ce que c’est que de gérer un poste de secours dans la nuit, sous la pluie, avec un coureur en détresse. Ils insistent : ce n’est pas du mépris, c’est de la prévention. Et à les écouter, c’est même un devoir moral.
La montagne ne change pas. Le trail, si.
Ce clivage n’a rien d’anodin. Il illustre une évolution bien plus large : celle d’un sport en pleine mutation, tiraillé entre sa tradition montagnarde exigeante et son ouverture à un public de plus en plus large, de plus en plus diversifié. Car oui, les profils changent. Le trail attire aujourd’hui des coureurs venus du bitume, du triathlon, du fitness, parfois même des réseaux sociaux. Et ce n’est ni bien ni mal. C’est une réalité.
Mais pendant que les pelotons évoluent, la montagne, elle, ne bouge pas. Les cailloux coupants restent coupants. Les descentes raides restent raides. Les dalles humides, les passages aériens, les changements brutaux de météo : tout cela fait toujours partie du jeu. Et lorsqu’un organisateur voit se multiplier les erreurs de base — mauvais matériel, pacing hasardeux, barrières horaires explosées dès les premiers ravitaillements — il finit par s’interroger. Pas par snobisme. Par inquiétude.
Préparer, filtrer ou exclure ?
Mais alors, si le problème est identifié, pourquoi ne pas le traiter à la racine ? Pourquoi ne pas mettre en place des filtres à l’inscription ? Un CV de course, un indice technique, un quota local comme cela se pratique déjà dans certaines régions ? C’est ce que propose le même lecteur critique : ne pas accuser les coureurs d’oser s’inscrire, mais encadrer davantage l’accès.
Et c’est là que l’on touche à une contradiction fondamentale. Car le trail se veut inclusif, ouvert, populaire. Il refuse l’élitisme, il valorise l’humilité, il encourage chacun à se dépasser, quel que soit son niveau. Mettre des barrières, ce serait trahir cet esprit. Mais ne rien faire, ce serait accepter de voir les secours sursollicités, les bénévoles débordés, et les coureurs mis en danger.
Une communication qui interroge
Dans ce contexte, la façon dont certains relais locaux communiquent devient centrale. Car ce n’est pas tant ce qu’ils disent qui pose problème, mais comment ils le disent. Prévenir les risques, rappeler les exigences du terrain : oui, bien sûr. Mais avec quels mots ? À qui s’adresse-t-on quand on écrit que ce n’est « pas un tour de manège » ? À ceux qui débutent ou à ceux que l’on considère comme trop naïfs ? À ceux qui n’ont pas les codes de l’ancien monde ou à ceux qui s’en affranchissent trop vite ?
Mais ce ton, justement, n’est pas neutre. Lorsqu’un communicant affirme, en toutes lettres, que « les gens ici sont authentiques » et que « ce sont un peu leurs montagnes », il ne fait pas que valoriser une communauté locale. Il dresse une frontière. Une ligne symbolique entre ceux qui appartiendraient à la montagne, parce qu’ils y vivent, l’aiment ou la connaissent depuis longtemps — et ceux qui viendraient de l’extérieur, trop nombreux, trop rapides à s’inscrire, trop influencés par les réseaux.
Cette phrase, anodine en surface, pose un vrai problème. Car elle revient à sous-entendre qu’il y aurait une légitimité à courir en montagne, une légitimité qui ne serait pas donnée à tout le monde. Une forme de « propriété symbolique » du massif, comme si les Pyrénées appartenaient à certains plus qu’à d’autres. Comme si le trail, censé réunir autour d’un effort commun en pleine nature, pouvait devenir un filtre social ou culturel.
Ce discours glisse vers une dérive identitaire de la ruralité
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Quand on affirme que « ce sont un peu leurs montagnes » ou que « ce n’est pas du trail comme ailleurs », on ne se contente plus de prévenir : on redéfinit qui a le droit d’être là, qui est légitime, et qui ne l’est pas. Cette forme de gatekeeping montagnard, sous couvert d’authenticité, exclut symboliquement tous ceux qui ne partagent pas la même origine ou la même culture du terrain.
En résumé on est sur la ligne de crête du trail moderne
Il n’y a pas de coupable dans cette histoire. Juste une tension, bien réelle, entre deux visions du même sport. L’une ancrée dans la culture montagnarde, dans la prudence, dans l’expérience acquise à la dure. L’autre plus fluide, plus accessible, portée par des pratiquants qui découvrent le trail comme on entre dans une nouvelle passion, avec envie, parfois maladresse, souvent sincérité.
Le post de Run in Pyrénées ne mérite pas un procès. Il mérite une discussion. Une discussion sur ce que devient le trail. Sur ce que les organisateurs attendent de leurs coureurs. Et sur ce que les coureurs attendent, eux aussi, des organisateurs.
Dans le fond, ce qui s’est exprimé là, c’est une inquiétude partagée : le trail change. La montagne non.
Et c’est entre ces deux mondes que se joue, désormais, l’équilibre fragile de notre sport.
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