Quand on se lance sur du trail, qu’il soit court ou long, on n’a jamais la certitude de comment ça va se passer. On a beau préparer notre course dans les moindres détails, un grain de sable vient presque systématiquement se glisser dans l’engrenage. Et ne nous mentons pas, ça fait partie des raisons pour lesquelles on adore ce sport. Pour peu qu’on soit un peu doué d’introspection, de ces galères on tire toujours des enseignements. Petit tour des galères que j’ai pu connaître sur ultra, mais pas seulement.
Quand tu te retrouves absolument seul sur un ultra.
C’était en novembre 2016, à l’occasion de mon premier ultra. Il restait une dizaine de kilomètres (pour une distance légèrement supérieure à 70km); la nuit est tombée, j’avais déjà pas mal d’heures de crapahutage dans les Ardennes. Et là, quasiment dans la même demi-heure, batterie de GSM à plat, montre à plat, lecteur MP3 à plat et lampe qui commençait à clignoter. Et bah dans le noir, avec plus grand chose pour te divertir et pour t’aider à te retrouver, ça craint un peu. J’en ai déjà parlé ici, mais la première chose que je me suis dit, c’est que si j’ai un problème, personne me retrouve, à part un sanglier un peu glouton… Paradoxalement, ça m’a donné un regain d’énergie (peut-être l’energie du désespoir). Au moins, maintenant, dès que j’en ai pour potentiellement plus de huit heures, je mets ma batterie en économie maximale pendant les trois premiers quarts de course et j’ai toujours des piles de rechange avec moi.
Quand tu découvres le concept de temps faible
Premier ultra à nouveau. Après 37/38km, mal de ventre, les jambes comme des bouts de bois, difficulté extrême à mettre un pied devant l’autre, des petites côtes qui ressemblent à un KV, une fatigue physique et mentale à leur paroxysme, et grosse flippe à l’idée de devoir encore parcourir une trentaine de bornes. Une espèce de remise en question générale de la vie, à se demander ce qu’on fout là, en somme. Sans le savoir, j’étais en train de découvrir à quoi ressemblait un temps faible, ce que ça signifiait d’être dans le dur. Grâce à cela, maintenant, je sais que ça finit par passer, qu’il est plus facile d’apprendre à apprivoiser ces moments que de les éviter. Mais bordel, quelle horreur, la première fois !
Quand tu n’es jamais aussi proche d’abandonner
Saintélyon 2018. Ceux qui l’ont faite se souviennent encore des conditions météo absolument dantesques. Et il s’est trouvé un moment en particulier où je suis encore hyper fier de pas avoir abandonné (peut-être plus que d’avoir terminé la course). C’était au deuxième ravitaillement. Pour resituer un peu, il se situait vers le 33ème km, après une descente de plus d’un km qui était hyper énergivore (dans la descente, ça glissait à mort et on avait de la boue jusqu’aux genoux). Au ravito, il n’y avait pas d’endroit pour s’abriter. A ce moment là, frigorifié, il fallait absolument que je me change; j’ai dû le faire sous la pluie et en plein vent. En parallèle, au ravito, un panneau indiquait “encore 55km”. Enfin, pendant que je me changeais, j’avais en visuel le bus des abandons avec dedans, des gens qui avaient l’air d’être au chaud. Finalement, je suis reparti et me suis changé un peu plus loin pour être sûr de pas être tenté d’abandonner.
Passage à vide pendant mon premier 100km
Je ne parlerais pas ici de temps faible, mais plus de passage à vide, en ce sens qu’il était un peu prévu que j’allais le rencontrer. En juin, à l’occasion de mon premier 100km dans les Hautes Fagnes et Ardennes belges, en préparant ma stratégie de course, j’avais décidé d’envoyer un peu dans la première moitié. Surtout car comme sur chaque ultra, les premières barrières horaires étaient assez hard, et si je voulais garder un peu d’avance, j’avais tout intérêt à commencer vite, tout en sachant que j’allais le payer une fois que j’arriverais dans la deuxième moitié. Si je parle de passage à vide, c’est parce que mentalement, là, ça allait bien. Sachant que j’avais intégré cette fatigue potentielle à ce moment là, le mental a tenu. Mais le physique… Ouh là là…Je n’imaginais pas qu’il soit possible d’avoir aussi mal aux pieds, aux genoux, aux quadriceps ou aux épaules. Et un mal de ventre… A chaque pas, je sentais mon estomac s’étirer comme un élastique. Chaque montée me démontait le dos, chaque descente me dégommait les genoux… Et ça pendant presque deux heures. ça a fini par passer, mais c’était long !
Quand rien ne se passe comme prévu sur un ultra
Mon dernier ultra a eu lieu en octobre. Il fait 65/66km Je pense que rarement j’avais autant préparé une course. Elle fait partie de mes préférées et j’avais une revanche à prendre par rapport à la dernière édition (où j’avais commis quelques erreurs). Bien décidé à ne laisser aucune place au hasard, j’ai analysé chaque kilomètre de course, chaque côte, chaque descente, chaque difficulté, chaque moment où il était possible de lâcher un peu les chevaux. Et malgré ça, rien ne s’est passé comme prévu. Les jours précédant l’épreuve, sans rentrer dans les détails, j’avais appris que ma grand-mère était en fin de vie et que son départ était imminent. J’ai essayé d’en faire abstraction autant que je le pouvais pour rester concentré; ça a marché les 20 premiers kilomètres. Les jambes étaient là, la gestion de course était bonne, et le mental a explosé en plein vol. Ce que j’avais essayé d’enfouir est ressorti avec une violence presque revancharde et finalement, pendant les 20km qui ont suivi, un mal de ventre empêchant de manger et boire, une énergie proche du zéro absolu et le moral dans les chaussettes. Je n’avais même pas envie d’abandonner, car je me disais que ce serait encore pire si j’étais chez moi. Au 40ème km, sans même m’en apercevoir, j’ai dormi 5 à 10 minutes. C’est la première fois que je dors en course, de surcroît sur une “courte” distance. C’est peut-être ce qu’il fallait pour digérer tout ça et accepter qu’enfouir tout sentiment de tristesse était une erreur. Et ben sur les 25 derniers kilomètres, j’ai couru quasiment du tout du long, j’ai dû dépasser une grosse vingtaine de personnes et suis arrivé en assez bonne forme.
Cette course m’aura appris que ça ne sert à rien d’enterrer ses émotions durant un ultra, il faut les intégrer, les avaler et essayer de s’en servir pour avancer. Et ça m’aura aussi appris la flexibilité d’une part, et le fait que même si tout ne se passe pas comme prévu, tout finit par se passer quand même d’autre part.
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