Lorsque les dossards de la Nuit blanche du Pilat sont partis en moins de deux minutes, un lundi soir de novembre, ce n’est pas seulement une jolie anecdote locale.
C’est le symbole d’un phénomène désormais documenté : il ne faut plus seulement se battre pour entrer à l’UTMB ou à la Diagonale des Fous, il faut aussi dégainer sa CB à la seconde près pour espérer participer à petit trail nocturne en janvier ou à la rando tartiflette du village du coin.
Ce qui relevait autrefois d’un stress réservé aux grandes épreuves internationales est désormais observé sur tout le spectre : marathons urbains, trails de massifs emblématiques, mais aussi courses de village et randos festives. Et là où l’on pourrait parler de simple « impression », les chiffres et les articles spécialisés montrent au contraire une tendance solide.
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Des dossards qui disparaissent en quelques minutes, du Pilat à la Moselle
Le cas des Nuits blanches du Pilat, dans la Loire, est le plus récent et le plus frappant. Dans un article publié le 21 novembre 2025, Le Progrès raconte comment les places pour la randonnée nocturne du vendredi 16 janvier sont parties en deux minutes à peine : site saturé dès l’ouverture, inscriptions terminées à 18 h 02, au point que les organisateurs eux-mêmes n’ont pas eu le temps de rafraîchir leur page.
Cette ruée n’est pas isolée. L’Équipe a consacré au printemps 2025 un long article au phénomène, en montrant que les 20 000 dossards de Marseille–Cassis se sont écoulés en moins d’une heure, que les semi et marathon de Paris 2025 ont rempli des dizaines de milliers de places plusieurs mois avant l’épreuve, et que des trails plus modestes, comme la Légende du Graoully en Moselle, ont, eux aussi, vendu tous leurs dossards en un peu plus de deux heures.
Côté trail hivernal, l’Asics SaintéLyon 2025 illustre la même dynamique : selon Running Attitude, 15 000 dossards ont été réservés en quelques heures seulement, rendant l’épreuve quasi complète en moins de 24 heures, avec déjà plusieurs formats affichant complet.
On est donc face à un faisceau de cas concrets, qui va du gros événement ultra-médiatisé jusqu’au trail nocturne de moyenne montagne, en passant par des courses de ville ou de campagne.
Une explosion des pratiquants et des courses… mais pas assez pour désaturer
Les chiffres nationaux confirment que la course à pied – et en particulier le trail – n’a jamais été aussi pratiquée. Le baromètre Finisher de la Fédération française d’athlétisme recense 2,95 millions de résultats enregistrés en 2024, dont plus d’un million sur des trails. Sur la même période, près de 4 968 courses nature ont été organisées, soit quasiment le double de 2015.
D’autres analyses évoquent plus de 10 000 courses organisées en France sur l’année 2024, dont environ 4 268 trails, avec une moyenne de 200 coureurs par épreuve, et près de 8 millions de Français qui courent régulièrement au moins une fois par semaine.
La FFA elle-même parle de « records de participation » et de pelotons de plus en plus fournis sur les courses en nature, qu’il s’agisse de grandes classiques ou d’événements plus modestes.
On pourrait penser que la multiplication des épreuves suffirait à absorber cette demande. Or, les données montrent l’inverse sur certains formats : les dossards partent plus vite que jamais, quelles que soient la taille de la course et sa renommée. C’est exactement ce que souligne l’article de L’Équipe : l’accélération des ventes touche « des petites courses de village » autant que les gros marathons et grands trails.
Pourquoi ça se remplit si vite : des causes identifiées
L’intérêt de ces articles, au-delà des chiffres, est qu’ils donnent des éléments d’explication précis, avancés par des organisateurs et par la FFA.
Dans L’Équipe, plusieurs acteurs parlent d’un effet combiné :
Les organisateurs d’ASO (Marseille–Cassis, Paris) évoquent un rebond post-Covid, avec une envie de partager, de retrouver l’air libre, après des années de contraintes sanitaires. Les Jeux olympiques de Paris, avec leur « marathon pour tous » et le 10 km populaire, auraient aussi relancé fortement l’envie de se mettre un dossard.
La Fédération met en avant un autre élément clé : le Parcours Prévention Santé (PPS), qui remplace le certificat médical depuis 2024, a simplifié et accéléré l’inscription. Un responsable FFA explique que le PPS permet de « prendre un dossard en trois minutes à peine », ce qui rend l’acte d’inscription beaucoup plus fluide… et facilite mécaniquement les ruées massives dès l’ouverture.
Enfin, les chiffres de licences confirment que les coureurs ne se contentent pas de courir seuls : la FFA indique un niveau de licenciés record après les Jeux, avec une hausse d’environ 8 % en un an, témoignant d’un intérêt durable pour les épreuves encadrées et chronométrées.
Autrement dit, du côté des causes, on dispose de données et de témoignages convergents : plus de pratiquants, plus d’événements, des inscriptions simplifiées, une visibilité accrue, et une dynamique post-Covid / post-JO qui entretient l’envie de s’aligner sur une ligne de départ.
Des listes d’attente qui explosent, malgré des jauges en hausse
L’autre volet, ce sont les conséquences. L’Équipe rapporte par exemple que l’EcoTrail de Paris, en augmentant sa jauge de 15 000 à environ 16 500–17 000 dossards, a quand même fini avec plus de 14 500 personnes sur liste d’attente, malgré des courses complètes dès le mois d’octobre.
On voit la même tension sur les trails hivernaux : la SaintéLyon plafonne à environ 17 000–18 500 coureurs selon les éditions et les formats, précisément pour limiter les bouchons sur les chemins et préserver un minimum de confort de course. Les organisateurs expliquent depuis plusieurs années qu’ils ne souhaitent pas augmenter indéfiniment les jauges, au risque de dégrader l’expérience et de poser des problèmes de sécurité.
Au Pilat, les Nuits blanches et leurs déclinaisons (rando nocturne, rando des Illuminés, rando des Maquisards, trail nocturne) fonctionnent avec des quotas de quelques centaines à 1 500 personnes selon les formats, là aussi pour garder des ravitaillements fluides et préserver un cadre naturel fragile. La communication officielle insiste sur des « places limitées » et sur le fait que certaines randos se sont déjà remplies en quelques heures lors des précédentes éditions.
Les chiffres nationaux confirment que cette tension n’est pas ponctuelle. La FFA recense plus de 11 000 courses labellisées en 2024, en hausse de 13,5 % par rapport à 2023, mais avec des pelotons moyens de 200 coureurs seulement. Cela signifie que la moindre épreuve compte, et que chaque petit trail de village devient une ressource convoitée dans un calendrier saturé.
Pourquoi les petits trails ne peuvent pas simplement « ouvrir plus »
Une autre donnée importante, toujours issue des déclarations recueillies par L’Équipe et par les médias spécialisés, concerne les limites structurelles. Des organisateurs expliquent clairement qu’ils ne souhaitent pas augmenter leurs jauges à l’infini, même face à une demande massive.
Pour l’EcoTrail de Paris, la raison tient à la fois au confort de course et à l’impact environnemental : plus de coureurs signifierait plus de bouchons, plus de déchets, plus de pression sur les milieux naturels.
D’autres soulignent les contraintes de sécurité, de postes de secours, de logistique, de bénévoles à trouver, et plus généralement l’inflation des coûts d’organisation. Là encore, il ne s’agit pas d’une impression : plusieurs articles de presse et prises de parole de la FFA pointent la hausse des exigences réglementaires et la nécessité, pour certains organisateurs, de professionnaliser une partie de la chaîne logistique.
Dans ce contexte, les « petits trails » ont souvent encore moins de marge de manœuvre que les grandes organisations : routes étroites, zones de départ limitées, capacité d’accueil du village, infrastructures de parking, salles pour les repas d’après-course. Les organisateurs de la Nuit blanche du Pilat, par exemple, insistent sur le caractère « familial » et montagnard de l’événement, avec des ravitaillements en produits locaux et une tartiflette géante sous chapiteau, autant d’éléments qui ne sont pas extensibles à l’infini.
Un phénomène documenté, pas seulement un ressenti de coureur frustré
Ce qui ressort de l’ensemble de ces sources, c’est que la phrase « ça devient impossible de s’inscrire à un trail, même au saucisson du village » n’est pas qu’un coup de gueule de coureur. Elle s’appuie sur des constats partagés :
Des médias généralistes comme L’Équipe montrent que les dossards partent parfois en quelques minutes, sur de très gros événements comme sur des trails régionaux, et que les listes d’attente peuvent atteindre plusieurs milliers de personnes.
Des titres régionaux comme Le Progrès, dans le cas des Nuits blanches du Pilat, rapportent noir sur blanc des inscriptions complètes en deux minutes pour une randonnée nocturne, avec un site saturé et des centaines de personnes connectées à l’instant T.
Les chiffres FFA et les baromètres spécialisés indiquent une croissance forte et continue du nombre de pratiquants, du nombre de courses et du nombre de finishers en trail, sans que cela suffise à désamorcer les tensions sur les événements les plus convoités.
On est donc bien en présence d’un phénomène structurel, documenté par des données publiques et des témoignages de terrain, et pas uniquement d’une impression liée aux gros noms du calendrier.
Ce que cela change concrètement pour les coureurs
Factuellement, les conséquences les plus visibles sont les suivantes :
Les coureurs doivent s’y prendre de plus en plus tôt, parfois plusieurs mois à l’avance, pour espérer participer à une course, qu’elle soit de masse ou plus intimiste. C’est l’une des phrases clés du papier de L’Équipe, qui insiste sur ce besoin d’anticipation.
L’inscription devient un moment de tension : alarmes sur smartphone, connexion à l’heure exacte, rafraîchissement de page, paiement en quelques secondes. Les témoignages évoqués à propos de Marseille–Cassis ou des Nuits blanches du Pilat décrivent des coureurs qui avaient « pris leurs précautions », noté la date, mais se sont quand même retrouvés sans dossard.
Pour les organisateurs, la solution passe de plus en plus par des listes d’attente et par des plateformes de revente encadrée de dossards, afin de redistribuer les places des coureurs empêchés. La FFA, dans les entretiens cités, voit dans ces outils une manière partielle de répondre à la demande, sans pour autant régler le problème de fond.
L’ensemble forme un paysage où la course du village, la rando nocturne avec vin chaud ou le trail blanc convivial ne sont plus des plan B tranquilles pour ceux qui n’ont pas obtenu leur dossard à l’UTMB ou à la SaintéLyon, mais des événements soumis à la même logique de rareté.
Sources
Cet article s’appuie sur plusieurs sources publiques :
– Un article de Damien Nore publié dans Le Progrès le 21 novembre 2025 relatant la saturation des inscriptions aux Nuits blanches du Pilat et les délais de complétude de moins de deux minutes.
– Les annonces et messages officiels publiés sur la page Facebook « Les Nuits Blanches du Pilat », confirmant les inscriptions complètes en temps record.
– Les informations pratiques disponibles sur les sites de l’événement et de ses partenaires (Lesnuitsblanchesdupilat.com, Office de tourisme du Pilat, services de chronométrage et HelloAsso) pour les jauges, dates et formats.
– L’article de L’Équipe publié le 17 mars 2025, consacré au remplissage express des grandes courses françaises (EcoTrail de Paris, Marseille–Cassis, semi et marathon de Paris) et aux listes d’attente enregistrées.
– Des données complémentaires issues des communications de l’EcoTrail de Paris et de médias spécialisés (Jogging International, MDS, sites d’information running).
– Les statistiques de la Fédération française d’athlétisme, du baromètre Finishers 2024 et de l’Observatoire du running concernant le nombre de pratiquants, de courses labellisées et l’évolution des pelotons en France.






