la haine en trail # un sport qui se rêvait fraternel
Le trail, longtemps perçu comme un refuge de bienveillance et de partage au cœur de la nature, semble perdre une partie de son identité. Victime de son succès, ce sport d’endurance voit aujourd’hui son image ternie par une explosion de tensions : inscriptions complètes en quelques heures, messages de haine sur les réseaux sociaux, ambiance électrique dans les commentaires… Le fossé se creuse entre l’esprit originel du trail et la réalité actuelle d’un phénomène de masse.
la haine en trail
la haine en trail, l’emballement des inscriptions : des dossards envolés en quelques minutes
Il suffit de jeter un œil aux statistiques des plus grands trails régionaux pour constater l’ampleur du phénomène. En Bretagne, comme le rapporte France 3 Régions, le trail de l’Aber Wrac’h a affiché complet en 5 heures seulement pour son 30 km. Même constat pour l’Ultramarin, l’un des événements les plus populaires de la région : 50 000 tentatives d’inscription ont été enregistrées pour quelques milliers de dossards.
Ces chiffres font écho à des courses emblématiques comme la Diagonale des Fous, où l’inscription passe désormais par un tirage au sort, ou encore l’UTMB, devenu presque inaccessible sans une planification de plusieurs années, un score ITRA élevé et une série de courses qualificatives. Le trail s’inspire aujourd’hui des codes de la loterie et du mérite, et cela ne plaît pas à tout le monde.
Frustration numérique : les réseaux sociaux comme exutoire
La rançon de cette frénésie, c’est la frustration. Et celle-ci s’exprime de plus en plus violemment, notamment sur les réseaux sociaux. Le gérant de la plateforme d’inscription Klikego, Benoît Adam, en a fait les frais. Dans les jours suivant l’ouverture des inscriptions à l’Ultramarin, il a reçu des messages d’une rare agressivité :
“Fils de p**”*, “honte à vous”, “voleurs de dossards”.
Des propos qui tranchent avec l’image d’un trail communautaire et solidaire.
Ces réactions, même marginales, sont révélatrices d’un malaise croissant. Comme le souligne David Hervelin, coordinateur de l’Urban Trail de Rennes :
“On ressent une pression inédite, et pas toujours bienveillante, de la part des participants. Certains oublient qu’il s’agit d’un événement encadré par des bénévoles.”
Le trail, entre communautarisme et exclusion silencieuse
Paradoxalement, plus le trail se démocratise, plus il devient élitiste. L’explosion des demandes d’inscription crée un effet d’exclusion non volontaire mais réel :
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Ceux qui ne maîtrisent pas les plateformes d’inscription sont écartés.
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Ceux qui travaillent aux heures d’ouverture se retrouvent systématiquement hors course.
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Les débutants, souvent sans club ou sans “réseaux”, n’ont plus accès aux dossards des courses mythiques.
Cette situation alimente un ressentiment qui s’exprime parfois à l’encontre des organisateurs, des plateformes techniques, voire même… des autres coureurs. Certains forums spécialisés regorgent de messages accusant d’autres participants de “s’inscrire sans se préparer”, de “s’accaparer les places pour rien”, voire d’“acheter des dossards pour le fun, sans respect pour la discipline”.
L’anonymat numérique comme catalyseur de la haine
Dans une étude publiée en 2023 dans la revue Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, des chercheurs ont mis en évidence le lien entre frustration sportive, anonymat en ligne et agressivité. Selon eux, les plateformes d’inscription et les réseaux sociaux deviennent des “zones grises” où l’agressivité est socialement tolérée, sous couvert de déception.
Le trail, qui repose souvent sur une image de dépassement de soi et d’humilité, voit ainsi son socle éthique fragilisé par une minorité bruyante de participants déçus ou frustrés.
Vers un changement de culture ?
Face à ces dérives, plusieurs pistes sont à l’étude :
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Tirage au sort généralisé, comme à la Western States ou à la Barkley.
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Récompenses au bénévolat, comme le fait le Grand Raid de La Réunion.
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Bourse officielle de revente de dossards, encadrée pour éviter les marchés noirs.
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Règles éthiques de comportement sur les forums et réseaux, comme tente de le mettre en place la fédération américaine d’ultra-trail (American Trail Running Association – ATRA).
Mais pour beaucoup d’organisateurs français, la vraie réponse est ailleurs :
“Il faut que les gens redescendent. On fait ça pour la passion, pas pour gérer une hotline de rageux”, glisse un bénévole anonyme du Trail de Guerlédan.
Et cette tension entre passion dévorante et agressivité numérique ne touche pas que les plateformes ou les organisateurs : elle vise aussi directement certains traileurs exposés médiatiquement.
Et cette tension entre passion dévorante et agressivité numérique ne touche pas que les plateformes ou les organisateurs : elle vise aussi directement certains traileurs exposés médiatiquement.
La montée en puissance du trail running s’accompagne d’une visibilité accrue pour ses figures emblématiques, mais cette exposition n’est pas sans conséquences. Alexandre Boucheix, alias Casquette Verte, en est un exemple frappant. Avec son approche décontractée et son humour, il a su fédérer une large communauté. Cependant, cette notoriété attire également son lot de critiques. Certains puristes du trail lui reprochent son style atypique et sa présence médiatique, estimant qu’il s’éloigne des valeurs traditionnelles du sport. Cette polarisation reflète une tension plus large au sein de la communauté du trail, entre tradition et modernité, discrétion et médiatisation. Le cas de Casquette Verte illustre ainsi les défis auxquels sont confrontés les athlètes dans un sport en pleine évolution.
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