La scène est brutale. Incompréhensible. Ce dimanche 26 octobre 2025, peu après 11 h, alors que des centaines de coureurs participent à un trail urbain dans les rues de Nantes, une voiture s’introduit en force sur le parcours, au sud du boulevard de la Liberté, au cœur du quartier de Chantenay.
Elle remonte l’axe à vive allure, au mépris des barrières de sécurité, frôle les dossards, traverse la foule, percute un coureur au coude, puis continue sa route comme si rien n’avait de poids, ni les cris, ni les regards, ni les sirènes de la police. Le conducteur, toujours en fuite à l’heure où nous écrivons ces lignes, a quitté le parcours près de la mairie. Les organisateurs parlent d’un acte délibéré. L’enquête est ouverte. Mais une question, glaciale, s’installe dans les esprits : était-ce du terrorisme ?
Quand l’espace sécurisé s’effondre
Dans l’univers du trail urbain, tout est pensé pour créer un cocon temporaire au sein de la ville. Une parenthèse de sport, de fête, de partage. On court au milieu des rues, sur l’asphalte ou les pavés, entre les façades familières, avec la conviction que tout danger extérieur a été mis à distance. Barrières, rubalise, arrêtés municipaux, présence de bénévoles… l’espace de la course devient un espace sanctuarisé.
Mais quand un véhicule motorisé s’y engouffre à toute vitesse, cette conviction vole en éclats. Le geste bouleverse l’ordre établi, menace l’intégrité physique des participants et sape la confiance qui rend l’événement possible. À Nantes, ce n’est pas un simple accrochage. C’est une intrusion frontale dans un monde protégé, une irruption mécanique dans ce que chacun croyait inviolable. Et la sidération collective, palpable sur les images filmées par une coureuse, n’a rien à voir avec de la peur ordinaire. Elle évoque ce que l’on ressent quand le réel se fracture.
Les hypothèses : entre malveillance, fuite et intention
Plusieurs scénarios sont envisageables.
Le plus courant dans ce type d’incident reste celui d’un acte de malveillance gratuite
Motivé par l’ivresse, la colère, ou une volonté de perturber, sans idéologie claire.
Une autre piste évoque un riverain excédé
Frustré par les fermetures de voirie, qui décide de passer en force.
Délit de fuite
Il existe aussi la possibilité d’une fuite en cours, le conducteur cherchant à échapper à une intervention policière entamée en amont.
Terrorisme
Enfin, certains redoutent une hypothèse plus grave : une attaque préméditée, pensée pour choquer, frapper les esprits, inscrire la peur dans le tissu d’un événement populaire.
Mais dans le flot d’émotions, une nécessité s’impose : ne pas confondre ressenti et qualification juridique.
Car en droit français, l’usage du mot « terrorisme » ne relève pas de l’intuition. Il est strictement encadré.
Ce que dit le droit français sur le terrorisme
L’article 421-1 du Code pénal est clair. Un acte ne peut être qualifié de terroriste que s’il est commis intentionnellement en lien avec une entreprise individuelle ou collective visant à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. En clair, ce n’est pas parce qu’un acte est choquant, dangereux ou potentiellement mortel qu’il est terroriste. Il faut une intention : celle d’utiliser la peur comme langage. Il faut une logique : celle d’installer l’insécurité comme message. Et souvent, il faut des signes : revendication, symbole, ciblage délibéré d’un événement grand public, élément préparé.
À Nantes, aucun élément connu ne vient, pour l’instant, étayer une telle lecture. Aucun mot, aucun drapeau, aucun manifeste. Juste une trajectoire violente et absurde, qui pourrait relever d’une multitude d’autres causes.
Pourquoi il ne faut pas banaliser… ni exagérer
Il serait tentant de crier au terrorisme dès que la sécurité vacille. Mais il serait tout aussi dangereux de ne voir dans l’événement qu’un incident isolé, une exception statistique. Ce qui s’est passé à Nantes montre une chose : nos dispositifs de sécurité sont, dans certains cas, symboliques. Une barrière légère, un ruban plastique ou un chevalet ne suffisent pas à arrêter une voiture. Et les bénévoles n’ont ni la vocation ni les moyens de s’interposer.
Dans un monde où un individu seul peut, en quelques secondes, décider de briser une ligne rouge, il faut que les courses – surtout en ville – intègrent cette réalité. Non pour céder à la peur, mais pour réduire les angles morts. Non pour militariser les événements, mais pour fermer vraiment les routes. Avec du béton si besoin. Avec des patrouilles positionnées. Avec des fenêtres de passage strictes et un dialogue clair avec les riverains.
Un traumatisme pour les coureurs
Loin des débats juridiques, ceux qui étaient là garderont en tête le bruit du moteur, les cris, les courses arrêtées net. Ce qui aurait pu être une fête de quartier devient une scène à revisiter en boucle, une peur tapie dans la mémoire. On court pour se sentir libre, pour vibrer, pas pour esquiver un capot.
La confiance, dans ces événements populaires, repose sur un contrat implicite : on prend un dossard, et l’on accepte la difficulté, pas le danger absurde. Le choc psychologique est réel, même si le droit ne parle pas de terrorisme.
Que les coureurs aient eu peur, c’est une évidence.
Il suffit de voir la vidéo, les cris, les regards figés, pour comprendre que la sidération a été totale. Mais le droit, lui, ne juge pas l’acte à l’aune de la peur qu’il provoque. Il exige une intention précise : celle d’utiliser cette peur comme levier, comme langage. C’est toute la subtilité – et la rigueur – de la qualification de terrorisme. Ce n’est pas la peur ressentie qui compte, mais la peur voulue.
En résumé, avec le recul permis par l’analyse froide des faits et des textes, on ne peut pas qualifier aujourd’hui l’acte de Nantes de terroriste.
Aucun élément d’intention idéologique n’a été rendu public, aucun signe de préméditation ciblée. Mais cette neutralité juridique ne doit pas faire oublier la violence ressentie, l’effroi déclenché, la confiance brisée.
L’enjeu, désormais, n’est pas de coller une étiquette, mais d’en tirer les leçons. Car si la malveillance gratuite est souvent la cause de ce genre de débordement, c’est justement pour cela qu’elle doit être anticipée. Le risque zéro n’existe pas, mais le risque évitable, lui, peut être éliminé.
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Mention éditoriale de prudence
Cet article s’appuie sur des témoignages à chaud, des images circulant sur les réseaux sociaux et des éléments d’enquête partiels. Les faits rapportés peuvent évoluer. Nous ne prétendons pas connaître les intentions de l’auteur des faits, ni substituer notre analyse à celle des autorités. Notre objectif est d’ouvrir la réflexion sur la sécurité des épreuves sportives urbaines.





