UTMB, Ligue Ultra : d’un extrême à l’autre, le trail mondial perd le nord
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Avant, on courait autour du monde pour finir à Chamonix. Maintenant, on court en France pour aller à Tahiti. Et l’écologie dans tout ça ?
Le trail mondial vit une époque étrange et particulièrement révélatrice de ses contradictions internes. D’un côté, les UTMB World Series imposent depuis plusieurs années un système de qualification globalisé : pour espérer décrocher un dossard à Chamonix, au pied du Mont-Blanc, il faut parfois accumuler des Running Stones à travers des courses organisées sur plusieurs continents, impliquant pour certains coureurs des allers-retours intercontinentaux répétés. De l’autre, un circuit plus récent mais désormais bien installé dans le paysage, la Ligue Ultra, se présente comme une alternative plus « locale », plus accessible, plus enracinée. Pourtant, sa grande finale, la course ultime du circuit… se court à Tahiti.
Oui, Tahiti. Dans le Pacifique Sud. À plus de 15 000 kilomètres de la France métropolitaine. Dès lors, une question s’impose avec insistance : où va le trail ?
UTMB : courir partout pour finir chez soi
Pendant des années, l’UTMB a cristallisé les espoirs, les critiques et les débats du milieu. On lui a reproché son système de points opaque, sa mainmise sur le calendrier mondial, sa logique commerciale, son rachat partiel par Ironman, ou encore la flambée de ses prix. Pourtant, un élément faisait encore sens : la finale se déroulait dans les Alpes françaises, dans ce territoire qui a vu naître la discipline moderne, avec une arrivée au cœur de Chamonix devenue, qu’on le veuille ou non, un totem, une Mecque, un Graal. Tout convergeait vers ce lieu mythique.
La logique n’était pas parfaite, bien sûr. Elle encourageait des déplacements longs, parfois excessifs, pour obtenir des points. Mais le cœur du système restait géographiquement et symboliquement cohérent : les meilleurs coureurs du monde se retrouvaient à Chamonix pour en découdre sur les sentiers historiques du Mont-Blanc.
Ligue Ultra : courir ici pour finir là-bas
La Ligue Ultra, née en 2024, propose un format très différent : quatre épreuves 100 % françaises, toutes bien identifiées – le Trail de Haute-Provence, le Tiger Balm Ultra 01, la Western Azuréenne de Saint-Tropez, et le tout nouveau Grand Raid Kiprun 3 Vallées – Moûtiers, prévu en 2026. L’idée est séduisante : un championnat national, bien ancré sur le territoire, avec une couverture média assurée par Canal+, des formats variés et une montée en puissance progressive au fil des manches. C’est carré, bien pensé, lisible, et ça limite les déplacements pendant la phase qualificative.
Mais voilà, au terme de ces quatre courses bien de chez nous, la récompense suprême est un dossard (et parfois un billet d’avion) pour aller courir la grande finale à l’autre bout du monde, sur le Tahiti Moorea Ultra Trail, une épreuve encore balbutiante mais déjà très attendue pour son décor de carte postale. Résultat : un modèle inversé, où on court local… pour aller très loin. Et cela change absolument tout.
L’écologie, un slogan qui ne suit plus les actes
Qu’on parle de l’UTMB ou de la Ligue Ultra, le paradoxe est le même. D’un côté, on vous invite à covoiturer pour aller à une reco, à limiter vos déchets au ravitaillement, à privilégier les produits locaux dans vos ravitos perso. De l’autre, on vous incite à faire des milliers de kilomètres en avion pour valider votre saison ou participer à une finale. Dans le cas de la Ligue Ultra, la contradiction est encore plus frappante, car le discours se veut plus « proche du terrain », plus éthique, plus alternatif. Et pourtant, il se termine… à Tahiti.
Un aller-retour Paris – Papeete, c’est 4 tonnes de CO₂ par personne.
C’est-à-dire deux fois plus que le budget carbone recommandé pour une personne sur toute une année, selon l’ADEME. Même si les courses qualificatives de la Ligue Ultra se courent en France, la finale à Tahiti suffit à faire exploser le compteur carbone de toute la saison. C’est ça, l’alternative à l’UTMB ?
Cette opposition entre les actes et les discours n’est plus tenable. Elle épuise la crédibilité du trail comme sport de pleine nature. À force de vouloir vendre du rêve, du soleil et de l’exotisme, on finit par trahir le sens même de la pratique. Et pendant ce temps, les efforts locaux des bénévoles, les labels « éco-responsables », les appels à la sobriété sont réduits à des gadgets.
Ce que raconte vraiment cette fuite vers l’ailleurs
Cette finale à Tahiti, ce n’est pas un simple choix logistique. C’est un symptôme. Le trail se cherche, tiraillé entre sa culture de l’effort en montagne et son aspiration à devenir un produit médiatique, bankable, globalisé. On critique à juste titre Chamonix et son embouteillage de caméras, mais on reproduit ailleurs les mêmes logiques : partenariat avec les grandes chaînes, élitisation, exotisme comme argument de prestige.
Et au milieu de tout cela, le coureur moyen, celui qui rêve simplement de finir un 100 miles en France, se demande s’il pourra un jour accéder à une finale sans vendre un rein ni compenser l’équivalent carbone d’un SUV diesel pendant 10 ans.
Peut-être est-il temps d’assumer une vérité dérangeante : le trail est devenu un sport de spectacle. Mais si tel est le cas, alors il faut cesser de se réfugier derrière les slogans verts, les promesses d’humilité ou les discours creux sur le « respect de la montagne ». Et peut-être, enfin, imaginer un autre modèle — un vrai — qui tienne la route, du premier au dernier kilomètre, sans détour par un lagon turquoise.
Le trail n’apprend pas, ne comprend toujours rien. Cela fait des années qu’on dénonce l’absurdité des UTMB World Series, où des milliers de coureurs prennent l’avion chaque année pour tenter de décrocher un dossard à Chamonix.
On a pointé les contradictions de Kilian Jornet, entre sa Fondation pour la montagne et ses allers-retours à l’Everest. On a parlé du non greenwashing de Mathieu Blanchard, qui se veut ambassadeur de la sobriété carbone avec la banque Grenn-Got, de l’empreinte carbone de plus de 11 tonnes de Clément Deffrenne et de Ludovic Pommeret.
Et maintenant ? On vous propose un ultra-trail en Savoie pour aller courir la finale à Tahiti. Rien ne change. Rien ne freine. Le trail préfère l’image à la cohérence.






