Après les arguments « les forêts sont privées vous n’avez pas le droit d y courir », « renseignez vous en période de chasse », « les accident de chasse c’est pas pire que ceux de la circulation », « le trail est accidentogène il y a beaucoup de crises cardiaque », « on nettoie vos sentiers », on a maintenant « je suis traileur ET chasseur »… sauf que NON on ne court pas avec un fusil
Acheter un gilet fluo pour courir pendant la chasse
Il y a un nouveau refrain dans les discussions sur le partage des sentiers. Un refrain qui se veut rassembleur, apaisant, presque bienveillant : “je suis traileur et chasseur”. Comme si cette phrase magique permettait de réconcilier deux mondes en tension. Comme s’il suffisait de dire “je fais les deux” pour rendre compatible l’inconciliable.
Mais est-ce si simple ? Peut-on vraiment être les deux en même temps ?
Non.
Il ne s’agit pas ici de nier qu’une même personne puisse aimer la course à pied en nature et pratiquer la chasse. Il ne s’agit pas de juger. Il s’agit de rappeler que ces deux pratiques reposent sur des logiques diamétralement opposées.
Le trail, c’est l’effort, le souffle, l’attention portée à son corps et à son environnement, dans une quête de fluidité et de dépouillement. On part tôt, parfois seul, souvent avec un sac à eau, le regard tourné vers les cimes, les pensées vers l’avant. La chasse, elle, implique une posture d’affût, une arme létale, une stratégie de guet, et une vigilance défensive face à tout ce qui bouge. L’un court, l’autre attend. L’un fuit le bruit, l’autre le provoque. L’un se fond dans la forêt, l’autre en occupe le territoire.
La cohabitation sur les mêmes sentiers au même moment n’est pas une option.
Quand on est traileur, on n’imagine pas croiser une arme. Quand on est chasseur, on n’imagine pas voir surgir un coureur en débardeur fluo dans sa ligne de mire. On peut alterner les passions, être traileur en avril et chasseur en novembre, mais pas les deux à la fois, pas sur le même créneau, pas sur le même espace, et surtout pas sans un cadre strict.
Une phrase trop commode
“Je suis traileur et chasseur” est devenue l’argument parfait pour renvoyer les coureurs à leur prétendue ignorance du terrain. Derrière cette phrase, on retrouve souvent les mêmes rhétoriques :
* Les forêts sont privées, vous n’avez pas le droit d’y courir
* Renseignez-vous, la chasse est réglementée
* Il y a moins d’accidents de chasse que d’accidents de voiture
* Les chasseurs entretiennent les sentiers
Mais cette posture, en apparence équilibrée, gomme un déséquilibre fondamental : la course ne met personne en danger. La chasse, si. Ce n’est pas une question de morale ou d’idéologie. C’est une question de risque objectif.
Le besoin de sanctuariser des temps et des espaces
Dans une forêt dense, un souffle peut ressembler à un grognement. Un sac orange à un pelage. Un pas rapide à un mouvement animal. Les erreurs d’identification sont documentées. Les drames aussi. Alors, non, on ne peut pas balayer ça d’un revers de main en disant “je suis les deux”. Ce n’est pas une carte blanche. Ce n’est pas un passe-droit. C’est une complexité qu’il faut regarder en face.
Ce que réclame une partie du monde du trail, ce n’est pas l’interdiction de la chasse. C’est un espace-temps sécurisé pour courir. Un dimanche matin par semaine sans battue. Des zones sans arme autour des zones urbanisées. Une transparence sur les jours de chasse. Des règles simples et compréhensibles par tous. Et surtout, la reconnaissance que courir n’est pas un acte hostile. Ce n’est pas s’opposer au monde rural. C’est y vivre autrement.
On ne chasse pas en short
Oui, il existe des gens sincères qui aiment courir et qui aiment chasser. Mais non, on ne peut pas incarner cette double appartenance pour mieux neutraliser le débat. Car le conflit d’usages existe, il est réel, il est quotidien, et il mérite mieux qu’un argument de fin de discussion.
On peut avoir plusieurs passions. Mais on ne peut pas les exercer en même temps, au même endroit, quand la sécurité des autres est en jeu.
Alors, à tous ceux qui disent “je suis traileur et chasseur”, on répond : très bien. Mais « pas en même temps. »
On ne court pas avec un fusil.
Et on ne chasse pas en short avec un sac à eau. Toute tentative de faire croire que ces deux mondes fusionnent naturellement efface la réalité du terrain. Il y a un moment pour courir, et un moment pour chasser. Les mélanger, c’est nier les risques, et rendre impossible toute cohabitation respectueuse.