Depuis quelques jours, notre simple post Facebook a suffi à rouvrir une brèche dans un débat déjà sensible : celui de la cohabitation entre chasseurs et trails, organisateurs de courses et traileurs.
Avec l’ouverture de la chasse, il faut s’équiper pour courir en sécurité
La normalisation du rôle des chasseurs dans l’organisation de trails interroge
Un organisateur de trail nous a récemment indiqué faire appel à des chasseurs pour assurer la sécurité de leurs épreuves. Ils évoquent aussi leur rôle dans la surveillance du balisage, comme le montre ce commentaire public : « Sur notre territoire pas mal de chasseurs nous aident et surveillent le balisage, merci à eux. » Une telle affirmation laisse entendre que leur présence sert aussi à prévenir le vandalisme, voire les actes de débalisage. Mais ce glissement de fonction est problématique.
Présentée comme une mesure de bon sens, cette pratique nous interroge. Car derrière cette normalisation du rôle des chasseurs dans l’organisation de trails, plusieurs questions s’imposent. Est-ce légal ? Est-ce moral ? Est-ce normal ? Et surtout : est-ce vraiment le rôle d’un chasseur que de sécuriser un événement public rassemblant des centaines de coureurs non armés, dans des forêts où les usages se croisent de plus en plus ?
Il faut d’abord rappeler que le port d’arme, en France, est strictement encadré par le Code de la sécurité intérieure.
En dehors d’un cadre cynégétique autorisé – c’est-à-dire lors d’une action de chasse déclarée, en période légale et dans une zone habilitée –, une personne ne peut pas circuler en forêt armée, a fortiori dans le cadre d’un événement civil ou sportif.
Le simple fait de porter une arme de chasse, même avec un permis valide, peut constituer une infraction si l’usage ne correspond pas à une action de chasse reconnue. Il ne suffit donc pas d’être chasseur pour devenir « surveillant officiel » d’un trail, surtout si cela implique une arme.
Toute confusion entre mission de sécurité publique et rôle cynégétique doit être évitée avec rigueur.
Au-delà de l’aspect juridique, c’est la question morale qui nous choque
Voir des organisateurs mentionner la présence de chasseurs pour aider à la sécurité, sans préciser dans quelles conditions ni avec quel cadre légal, soulève une inquiétude légitime.
Qui surveille qui ?
Quelle est la responsabilité en cas d’incident ? Qui couvre l’événement en termes d’assurance ? Dans les faits, les coureurs signalent régulièrement leur malaise de croiser des hommes armés sur les sentiers quand ils vont courir. La simple présence d’une arme crée un déséquilibre implicite.
Le trail est une pratique libre, pacifique, fondée sur la légèreté et la confiance. Introduire une forme de contrôle militaire ou cynégétique dans cet espace peut compromettre cette culture.
D’ailleurs, aucun texte officiel sur l’organisation d’épreuves sportives en milieu naturel ne recommande ou même n’évoque le recours à des chasseurs pour assurer la sécurité.
Le ministère des Sports, dans ses différents guides sur les sports de nature, précise au contraire que l’organisateur est responsable de la sécurité des participants et qu’il doit mobiliser des professionnels reconnus, ou des bénévoles formés, avec un cadre légal clair. Les fédérations, les préfectures et les mairies demandent généralement des dossiers d’autorisation comportant des plans de sécurité, de secours, de signalétique. À aucun moment il n’est mentionné que la présence de chasseurs locaux pourrait valoir sécurité.
Alors pourquoi certains organisateurs s’en remettent-ils aux chasseurs ?
Par proximité culturelle, sans doute.
Dans certaines régions, le monde du trail et celui de la chasse se croisent. Les organisateurs veulent éviter les conflits, sécuriser les parcours, donner des gages de bonne volonté. Certains chasseurs, passionnés de montagne ou traileurs eux-mêmes, se rendent volontiers disponibles pour aider, prévenir, fermer une barrière, orienter un coureur perdu. Mais cela ne suffit pas à en faire des agents de sécurité. On peut être utile sans être légitime dans un rôle officiel.
À y regarder de plus près, la présence de chasseurs sur des événements peut aussi masquer une tentative de consolidation d’un pouvoir local.
Être identifié comme « partenaire sécurité » d’un événement sportif peut servir de caution, de légitimation symbolique. Cela permet de gommer les tensions entre chasseurs et non chasseurs, voire de faire passer un message : la chasse aussi protège.
C’est ce renversement de perspective qui dérange. Car dans le débat public, les oppositions entre traileurs et chasseurs sont récurrentes. Sur la question des jours sans chasse, sur les distances de sécurité autour des habitations, ou encore sur la légitimité de certains tirs, les incompréhensions sont fortes. En suggérant que des chasseurs « sécurisent » un trail, on brouille la lecture, on donne à croire que le débat est dépassé, qu’il n’y a plus d’antagonisme. Ce n’est ni juste, ni vrai.
Le plus préoccupant, peut-être, c’est que cette ambiguïté engage la responsabilité des organisateurs.
Si demain un incident survient, que se passera-t-il ? Qui portera la faute ? Peut-on vraiment affirmer qu’un chasseur, même bénévole, engagé pour surveiller un balisage, est couvert juridiquement par l’assurance de l’événement ? Est-il formé aux premiers secours ? Sait-il gérer un flux de coureurs ? A-t-il reçu une consigne claire de la part de l’organisation ? Et surtout, pourquoi avoir recours à des chasseurs quand des dispositifs plus neutres et professionnels existent ?
En France, d’autres solutions existent pour assurer la sécurité d’un trail
La loi prévoit la mobilisation de signaleurs bénévoles, identifiés, formés, et placés sous la responsabilité de l’organisation. Des partenariats peuvent être établis avec la gendarmerie, les pompiers ou les collectivités locales. Dans certaines zones sensibles, des arrêtés municipaux encadrent même la circulation, et des agents de l’Office français de la biodiversité peuvent être sollicités par les préfectures.
Bref : si la sécurité est un enjeu, la réponse existe déjà. Elle s’appelle l’État de droit.
Ce n’est ni aux chasseurs, ni à des figures locales non formées, de jouer aux gardiens de la forêt. La sécurité d’un événement sportif, c’est une affaire publique. Pas une délégation officieuse à des habitués du fusil.
Le ministère de la Transition écologique rappelle clairement, dans son plan national de sécurisation de la chasse, que la coexistence avec les autres usagers de la nature doit être respectueuse et strictement encadrée. Ce n’est pas à la chasse de s’inviter dans le trail. C’est à l’État de garantir que les deux pratiques puissent coexister sans que l’une n’empiète sur l’autre.
Remercier un chasseur pour avoir aidé à repérer une rubalise arrachée est une chose. Mais institutionnaliser leur présence dans l’organisation sécuritaire d’un trail est une dérive. Cela brouille les responsabilités, crée des zones grises juridiques et met en danger la clarté de l’événement. Il est temps de clarifier les rôles. La sécurité d’un trail est une affaire de droit, de responsabilité, de professionnalisme. Pas une affaire de copains avec des fusils
Sources et cadre juridique
Le recours à des chasseurs pour encadrer des événements sportifs comme les trails ne figure dans aucun guide officiel d’organisation publié par les fédérations sportives ou le ministère des Sports. Le Code du sport (articles L331-1 et suivants) impose une obligation de sécurité à l’organisateur, qui ne peut être déléguée à des tiers non habilités. Le port d’arme en dehors de la chasse est strictement encadré par le Code de la sécurité intérieure (articles R315-1 à R315-15), et tout usage d’une arme dans un contexte non cynégétique, notamment dans une manifestation sportive, peut constituer une infraction. Le Code de l’environnement, notamment ses dispositions relatives à la chasse (articles L420-1 et suivants), précise que la pratique cynégétique doit être encadrée, déclarée, sécurisée et ne peut interférer avec d’autres usages publics sans coordination explicite avec la préfecture.
En matière de jurisprudence, plusieurs affaires ont déjà établi la responsabilité des organisateurs en cas d’incident ou de blessure sur un événement sportif lorsque la sécurité n’était pas assurée par des professionnels reconnus. Le rapport parlementaire n°882 du Sénat (2022-2023) relatif à la sécurisation de la chasse propose d’ailleurs de mieux encadrer les dates, les zones et la cohabitation des usages, en évitant la confusion entre chasseurs, usagers et forces de sécurité publique (source : www.senat.fr/rap/r21-882)
Sources
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Cet article s’inscrit dans une démarche de journalisme d’intérêt général, au titre de la liberté d’expression et du droit d’informer. Il repose sur des propos postés publiquement par les pages Facebook identifiées comme appartenant aux organisateurs des Grands Trails d’Auvergne et du Trail du Montagnon, directement sur notre page uTrail. Ces échanges sont accessibles à tous, au moment de publication, et ont été cités dans le strict respect du droit à l’information, sans altération, sans extrapolation, ni intention de nuire.
Les organisateurs évoquent explicitement l’intervention de chasseurs pour surveiller le balisage ou assurer la sécurité de leurs événements. Si ces personnes interviennent uniquement comme bénévoles, sans arme ni statut particulier, il est légitime de s’interroger sur l’intérêt de préciser leur statut de chasseur. À l’inverse, si leur qualité de chasseur justifie leur présence, leur rôle ou leur autorité sur le terrain, alors la question de la légalité, de la moralité et de la normalité d’un tel dispositif mérite d’être posée publiquement.
L’auteur de cet article agit de bonne foi, dans une logique de vigilance sur une pratique ambiguë, sans appel à la haine, ni volonté de nuire ou de discréditer. Aucune attaque personnelle, aucun propos diffamatoire ni stigmatisant ne sont formulés. Cette publication s’inscrit dans le cadre du débat public légitime sur la sécurité des événements sportifs et la cohabitation des usages en milieu naturel.
Les personnes ou structures concernées disposent évidemment d’un droit de réponse, qui sera publié avec équité et visibilité.