Le trail se pratique en pleine nature, sur des sentiers ouverts, souvent partagés avec des randonneurs, des familles, des cueilleurs… et parfois des chasseurs.
Pour les traileurs, courir dehors n’est pas un loisir abstrait. C’est une relation directe au terrain, au vivant et aux autres usagers de l’espace naturel. Lorsqu’un coureur, un promeneur ou un riverain perd la vie lors d’une action de chasse, le vocabulaire employé dépasse largement le cadre judiciaire. Parler d’« accident de chasse » ou d’homicide n’est pas un détail sémantique : c’est une manière de dire comment on considère la sécurité, la responsabilité et la place de chacun dans ces espaces que le trail revendique comme ouverts et partagés.
« accident de chasse » : une expression qui n’est pas neutre
À chaque mort survenue lors d’une action de chasse, la même expression revient mécaniquement dans les médias et les communiqués officiels : « accident de chasse ». Un terme rassurant, presque banal, qui donne l’impression d’un événement malheureux mais imprévisible, d’une fatalité. Pourtant, dès lors qu’une personne est décédée, ce mot pose un problème fondamental. Car juridiquement, socialement et symboliquement, on ne parle pas d’un simple accident, mais d’un homicide.
Ce décalage de vocabulaire n’est pas anodin. Il conditionne la manière dont les faits sont perçus, la responsabilité est envisagée et la gravité est reconnue.
Ce que dit réellement le droit pénal
En droit pénal français, le cadre est clair. Lorsqu’une personne meurt du fait d’un tir, sans intention de tuer, la qualification pénale qui s’applique est celle d’homicide involontaire. Elle figure à l’article 221-6 du Code pénal et concerne toute mort causée par imprudence, négligence, maladresse ou manquement à une obligation de sécurité.
Le mot « accident » n’existe pas comme qualification pénale. Il peut décrire une situation factuelle, mais il ne dit rien de la responsabilité. Dès qu’il y a décès, la question juridique n’est jamais « y a-t-il eu un accident ? », mais « y a-t-il eu un homicide involontaire ? ». C’est ensuite à l’enquête judiciaire d’établir s’il y a faute caractérisée, responsabilité pénale ou circonstances atténuantes.
Continuer à parler d’« accident de chasse » après un décès, c’est donc employer un terme qui ne correspond à aucune réalité juridique.
L’euphémisation d’une mort humaine
Le problème du mot « accident » est qu’il efface la victime. Il gomme la mort derrière l’idée de malchance. Il suggère l’absence de responsabilité avant même que les faits soient établis. Dans l’imaginaire collectif, un accident est quelque chose qui arrive sans cause humaine identifiable, alors que dans le cas d’un tir mortel, il y a toujours une action humaine à l’origine.
Dans d’autres contextes, cette indulgence lexicale n’existe pas
Lorsqu’un automobiliste tue un piéton, on parle très rapidement d’homicide involontaire. Lorsqu’un ouvrier meurt sur un chantier, la question des responsabilités est immédiatement posée. La chasse, en revanche, bénéficie d’un traitement sémantique à part, comme si la mort y était plus acceptable, plus excusable, presque normale.
Ce choix des mots n’est pas neutre. Il contribue à banaliser la violence réelle des faits.
Une exception culturelle profondément ancrée
Si l’expression « accident de chasse » s’est imposée, ce n’est pas par hasard. Elle s’inscrit dans une longue tradition culturelle et politique où la chasse est perçue comme une activité légitime, ancestrale, bénéficiant d’une tolérance particulière. Le vocabulaire utilisé reflète cette indulgence.
Le mot est fort, brutal, inconfortable. Il rappelle qu’il y a un mort, une famille endeuillée, une vie interrompue. À l’inverse, parler d’accident permet de déplacer le regard vers l’événement, et non vers ses conséquences humaines.
Ce glissement lexical protège symboliquement la pratique plus que les victimes.
Nommer correctement pour poser les bonnes questions
Employer le mot homicide n’est pas une accusation morale. C’est une description juridique et factuelle. Dire « homicide involontaire » ne signifie pas que la personne voulait tuer. Cela signifie simplement que quelqu’un est mort à cause d’un acte humain, et que cette mort mérite une enquête, une analyse des règles de sécurité et, éventuellement, des sanctions.
Refuser ce mot, c’est refuser le débat sur la responsabilité, sur la prévention, sur le cadre de la chasse et sur la cohabitation avec les autres usagers de l’espace naturel. C’est empêcher toute remise en question structurelle.
Nommer correctement les faits est une condition minimale pour progresser collectivement.
Parler d’« accident de chasse » quand une personne est décédée, c’est minimiser la gravité de l’événement
Ce n’est ni juridiquement exact, ni socialement juste. Dès qu’il y a mort, il y a homicide. Involontaire, certes, mais homicide quand même.
Changer de vocabulaire ne ramènera pas les victimes. Mais cela permet au moins de reconnaître la réalité des faits, de respecter les morts et d’ouvrir un débat honnête sur les responsabilités et la sécurité. Les mots comptent. Et quand il s’agit de vies humaines, ils comptent encore plus.
Quand un chasseur blesse un joggeur : ce que dit le droit
En droit pénal français, lorsqu’un chasseur blesse un joggeur sans intention de blesser ou de tuer, la qualification retenue est celle de blessures involontaires. Elle repose sur l’existence d’une imprudence, d’une maladresse ou d’un manquement aux règles de sécurité. La gravité pénale dépend ensuite de l’importance des blessures, notamment de la durée de l’incapacité totale de travail.
Si l’enquête établit que le tir a été effectué volontairement dans une direction dangereuse, en connaissance du risque, sans viser la personne, la qualification peut évoluer vers des violences involontaires avec arme, voire des violences volontaires avec arme si un comportement délibéré est caractérisé.
En revanche, tant qu’il n’y a pas de décès et tant que l’intention de donner la mort n’est pas démontrée, on ne parle ni d’homicide ni de tentative d’homicide.
Le trail n’est pas en guerre contre la chasse, mais il rappelle une évidence
Les sentiers ne sont pas des zones privées. Ce sont des espaces communs, traversés à pied, à faible vitesse, souvent sans protection. Nommer un décès pour ce qu’il est, un homicide involontaire, n’est ni militant ni excessif : c’est reconnaître que la cohabitation actuelle pose problème et qu’elle mérite mieux que des mots édulcorés.
Pour les traileurs, cette question n’est pas théorique. Elle touche directement à la sécurité, à la liberté de courir et à la confiance dans l’espace naturel. Appeler les choses par leur nom, c’est poser les bases d’un dialogue plus honnête, où la protection des vies humaines passe avant la préservation des habitudes.
Sources
- Code pénal français, article 221-6 – homicide involontaire.

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Cet article relève d’une démarche d’information et de débat d’intérêt général. Il propose une analyse éditoriale, rédigée de bonne foi, portant sur l’usage de certaines expressions et leur adéquation avec le droit pénal français. Malgré le soin apporté à sa rédaction, uTrail reconnaît que des imprécisions ou erreurs d’interprétation peuvent subsister. Les éléments présentés n’ont pas valeur d’avis juridique, ne se substituent pas à une consultation d’avocat et ne préjugent d’aucune enquête, procédure ou décision de justice en cours ou à venir. L’article ne vise aucune personne nommément désignée et ne constitue ni une accusation, ni une imputation de responsabilité individuelle.





