Il est devenu de bon ton, presque rituel, de taper sur l’UTMB, comme si cette course, parce qu’elle incarne à elle seule la démesure supposée du trail moderne, devait à chaque édition rendre des comptes pour tout ce que la société supporte mal : la visibilité, le volume, la professionnalisation, l’internationalisation, la foule, le bruit, l’argent, les images.
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L’impasse de la décroissance radicale
La moindre photo de coureur à Chamonix, le moindre hélicoptère dans le ciel des Houches, le moindre live YouTube devient le point de départ d’une critique systémique qui, trop souvent, rate sa cible.
Et cette année encore, le scénario s’est rejoué avec une précision mécanique : un article dans Le Figaro évoquant la nécessité de « diviser par deux » le nombre de participants à l’UTMB a suffi à relancer une discussion, qui, en l’espace de quelques heures, a enflé bien au-delà de son point de départ. Dans ma rédaction, certains ont proposé d’aller encore plus loin, de diviser par dix, comme si la radicalité suffisait à régler le problème, comme si l’éradication d’un symbole pouvait compenser les renoncements qu’aucun acteur n’ose vraiment affronter. Ce à quoi j’ai répondu, simplement, que cela reviendrait à supprimer la course — et que cela ne changerait rien à la réalité que nous prétendons regarder en face.
Le plus ironique, dans cette volonté de « réduire pour sauver », c’est la logique de fond qu’elle porte sans jamais l’assumer. Car si l’on pousse ce raisonnement jusqu’au bout, alors la seule activité qui n’abîme jamais la montagne… c’est l’absence totale d’activité humaine.
Supprimer l’UTMB, puis limiter le trail, puis restreindre la randonnée, puis rendre inaccessibles les refuges, puis fermer les vallées : voilà où mène la décroissance ultime lorsqu’elle devient un refuge idéologique. Ce n’est plus une écologie de responsabilité, mais une écologie de renoncement total, où la seule manière d’être “vertueux” serait de ne rien faire, ne rien toucher, ne rien vivre.
Or une société sans mouvement, sans sport, sans horizons, sans passion, ce n’est pas une société durable. C’est une société éteinte. Une montagne sans humains est peut-être belle en théorie, mais morte en pratique. Elle n’est pas un sanctuaire figé : elle est un espace vivant, fait pour être traversé, observé, éprouvé. La décroissance radicale ne protège rien, elle efface tout.
Prendre l’UTMB comme bouc émissaire, c’est rater l’essentiel
Car c’est bien là tout le problème : l’UTMB ne gêne pas tant par ce qu’il est, mais par ce qu’il représente. Il devient, aux yeux de beaucoup, le miroir grossissant d’une époque qui dérange, un concentré d’excès dont on espère qu’il suffirait de réduire la taille pour retrouver une forme d’innocence perdue. Et pourtant, si l’on prend un peu de recul, si l’on regarde les données plutôt que les émotions, un chiffre s’impose avec la force d’une gifle …
Les coureurs de l’UTMB ne représentent qu’environ 5 % de la fréquentation totale du Tour du Mont-Blanc pendant la saison estivale.
Cinq. C’est peu. C’est minuscule. C’est presque dérisoire.
Alors, évidemment, ces 5% font du bruit. Ils font des stories, des lives, des reportages. Ils dérangent parce qu’ils rendent visible ce que la majorité, le reste du temps, préfère ignorer. Mais leur impact réel, lui, reste mesuré, canalisé, encadré. Et surtout, à la différence de tant d’autres formes de tourisme de masse, le trail laisse une empreinte qu’on peut, en grande partie, contenir, nettoyer, compenser. Ce qui est rarement le cas pour les 97,5 % de randonneurs, d’automobilistes, de visiteurs motorisés, de groupes encadrés et de promeneurs qui, chaque été, saturent la vallée sans qu’aucune tribune ne leur soit jamais consacrée.
Diviser les dossards, c’est rendre la course économiquement et logistiquement impossible
Ceux qui réclament la réduction drastique du nombre de participants — par deux, par cinq, par dix — s’imaginent sans doute qu’il suffirait de limiter l’accès pour rendre la course plus vertueuse. Mais ils oublient, ou feignent d’ignorer, que l’UTMB n’est pas un événement magique qui s’autogère. Il repose sur une infrastructure complexe, sur une économie circulaire locale, sur un réseau immense de bénévoles, de prestataires, d’hébergements, de services médicaux, de transports, sur des contrats qui nécessitent un minimum de flux pour tenir debout. En clair, réduire drastiquement les dossards, ce n’est pas rendre la course plus écologique, c’est la rendre invivable, financièrement non viable, humainement impossible.
Et même si, par miracle, on parvenait à maintenir l’UTMB dans une version minimaliste, en réduisant tout sauf son ambition, cela ne changerait rien à l’enjeu principal : le Mont-Blanc continuerait d’attirer des dizaines de milliers de visiteurs qui, eux, ne viendraient pas en baskets, ne dormiraient pas dans des tentes et ne monteraient pas en courant jusqu’à Champex. Ce ne sont pas les coureurs qui saturent les routes de la vallée, ce ne sont pas eux qui provoquent les embouteillages ni les pics de consommation, ni les dégâts environnementaux les plus visibles.
Le vrai problème est ailleurs : dans les usages du territoire et les pratiques invisibles
Qu’on le veuille ou non, il y a aujourd’hui sur nos sentiers une multitude d’usages qui, à l’échelle du pays, abîment infiniment plus que le passage organisé d’un peloton de traileurs. Il suffit de sortir un samedi matin pour croiser des quads, des motos, des 4×4 qui creusent des ornières profondes, défoncent les pistes forestières, provoquent érosion, bruit, stress animal. Et tout cela, bien souvent, en toute légalité, avec la bénédiction d’élus locaux, sans le moindre retour à la case réparation.
On préfère viser l’UTMB, parce que c’est connu, parce que c’est grand, parce que c’est filmé. On lui fait payer d’être vu. Et pourtant, à impact équivalent, le trail reste une pratique exceptionnellement sobre, maîtrisée, souvent plus responsable que nombre d’activités humaines qu’on laisse prospérer sans le moindre débat.
Le trail est un sport qui se suffit de peu — et c’est sa force
Prenons un instant pour regarder les choses telles qu’elles sont : le trail, même à très haute densité, reste un sport de l’essentiel. Une paire de chaussures, un sac, une frontale. Pas de béton, pas de pelleteuse, pas de climatisation, pas de stade à construire ni à entretenir, pas de navettes aériennes pour les VIP, pas de mobilier urbain spécifique. Les parcours sont là, tracés dans la montagne. La nature est déjà le décor, le terrain de jeu, l’espace de dépassement. Il suffit de passer, de baliser temporairement, puis de tout retirer — et souvent, une semaine plus tard, il ne reste rien. Rien d’autre que les souvenirs.
Ce n’est pas un sport parfait, bien sûr. Mais à cette échelle de visibilité, de médiatisation, de participation mondiale, il est l’un des rares à ne pas avoir besoin d’édifices, de béton, de structures figées. Il se contente de l’existant. Il s’y adapte. Et cela compte.
Ce qu’il faut repenser, c’est notre mobilité, pas notre envie d’être dehors
Si l’on veut vraiment avancer, si l’on veut que le trail, l’UTMB, et toutes les grandes courses deviennent plus sobres, plus durables, plus responsables, alors ce n’est pas sur le nombre de coureurs qu’il faut taper. C’est sur notre manière de venir, de nous déplacer, de nous loger, de consommer. La solution n’est pas dans la régression mais dans l’intelligence des flux.
Mettre en place des navettes efficaces, encourager le train, mutualiser les hébergements, étaler les arrivées, renforcer les offres locales, favoriser les mobilités douces. C’est là que se joue l’avenir. Et c’est là-dessus que les vrais écologistes devraient mettre la pression.
Pas sur ceux qui courent.
En résumé, viser l’UTMB, c’est se rassurer à peu de frais
Il est toujours plus facile de viser le sommet visible que de questionner les fondations invisibles. L’UTMB attire la critique parce qu’il dépasse. Mais ce dépassement, qui agace certains, est aussi ce qui permet de structurer, de professionnaliser, de rendre le trail accessible, compréhensible, encadré.
Vouloir le réduire à néant, c’est confondre écologie et effacement. C’est vouloir retrouver un âge d’or fantasmé qui n’a jamais existé. Et c’est surtout détourner le regard des véritables enjeux environnementaux, bien plus diffus, bien plus massifs, bien plus difficiles à affronter — parce qu’ils nous concernent tous, dans nos choix quotidiens.
Alors, plutôt que de répéter en boucle qu’il faut diviser l’UTMB, prenons le temps d’observer tout ce qui, autour, pourrait vraiment changer. Là est le vrai débat.
Sources
- Cet article s’appuie sur des données publiques et vérifiables. L’estimation de 50 000 personnes par an réalisant le Tour du Mont-Blanc provient d’un article d’Altitude News consacré à la surfréquentation du massif. Le chiffre d’environ 2 500 partants sur la course reine de l’UTMB est issu de plusieurs sources concordantes, notamment L’Équipe et la page de référence consacrée à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc. L’analyse ne repose sur aucune donnée interne ou confidentielle, uniquement sur des informations disponibles, croisées et contextualisées.
- Le Figaro ici
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