Sur un groupe Facebook, une publication s’est enflammée : des coureurs accusent le Trail des Passerelles du Monteynard d’avoir augmenté ses tarifs de 30 euros.
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La colère est immédiate, les commentaires s’enchaînent, les comparaisons pleuvent. L’UTMB, le Marathon de Paris, le « business du trail »… tout y passe. Mais en vérifiant les chiffres, une chose saute aux yeux : cette hausse n’existe pas.
Et si la vraie explosion n’était pas dans les prix… mais dans la perception ?
Un emballement collectif pour une hausse qui n’a jamais eu lieu
L’inscription au Maratrail des Passerelles (38 km, 2000 m de D+) coûte officiellement entre 50 et 65 euros selon la date. En 2024, c’était 55 euros en early, 62 euros en late. En 2025, 50 euros en early, 65 euros en late. Même niveau. Aucun saut de 30 euros.
La rumeur d’un tarif à 70 euros pour 2026 circule… sans aucune annonce officielle ni page d’inscription active. Pourtant, l’idée s’est répandue : « c’est devenu trop cher ». Cette affirmation, fausse dans les faits, s’est pourtant imposée dans les esprits.
2025 : 50 € (early) / 65 € (late)
2026 : Aucune hausse de 30 € confirmée. Les tarifs restent dans la même fourchette.
Pourquoi un prix stable déclenche autant de colère ?
Parce que tout le monde a le sentiment de payer plus, même quand ce n’est pas le cas
L’époque est à la défiance. Prix de l’essence, paniers alimentaires, abonnements… tout augmente. Alors quand un dossard reste au même tarif, il paraît déjà suspect. La perception devient plus forte que les faits. Si un coureur s’était inscrit pour 35 euros en 2019, il ne regarde plus l’évolution réelle, il compare avec sa propre mémoire.
Les comparaisons biaisées amplifient encore ce phénomène : la 6000D à 68 euros ? Le Nivolet-Revard avec repas inclus à 60 euros ? Oui, mais chaque course a ses contraintes, ses choix logistiques, ses autorisations, ses passerelles suspendues à entretenir… Ces détails disparaissent dans le flot émotionnel.
Parce que les réseaux sociaux carburent à l’indignation
Une phrase, une capture d’écran, une rumeur : il n’en faut pas plus. L’algorithme pousse ce qui choque, ce qui divise, ce qui fait réagir. Le post initial citait un « +30 € » sorti de nulle part… mais viral. On n’est plus dans l’analyse, on est dans le ressenti partagé.
La sociologue Dominique Cardon parle de « contagion émotionnelle ». Ce ne sont plus les faits qui forment l’opinion, ce sont les émotions les plus vives qui façonnent la réalité collective.
Parce que le trail devient un produit culturel, et ça dérange
Ce sport de nature a longtemps cultivé une image d’authenticité, de liberté, de frugalité. Aujourd’hui, il est structuré, médiatisé, industrialisé. Et ça dérange.
Pour les “anciens”, ce changement est parfois vécu comme une dépossession. Quand une course gagne en notoriété, en communication, en sponsors, elle perd (symboliquement) en « âme ». Même si le prix ne bouge pas, l’ambiance, elle, évolue. Et cette évolution a un coût émotionnel.
Ce que dit la sociologie : une crise de sens plus qu’une crise tarifaire
Les chercheurs comme David Le Breton, Jean-François Bourg ou encore Loïc Wacquant analysent ce type de phénomène. Quand une communauté sportive se transforme, elle traverse une série de tensions identitaires.
Les traileurs oscillent entre deux postures irréconciliables :
Ils veulent du rêve… mais au prix du local.
On attend une logistique millimétrée, des ravitos variés, une appli de suivi en temps réel, des médailles, des vidéos de drone… sans accepter que tout cela a un coût.
Cette contradiction produit un sentiment diffus : ce n’est pas le prix qui est trop élevé, c’est la promesse qui ne suffit plus à le justifier.
Ils râlent… mais ils n’ont pas (totalement) tort
Ce n’est pas une simple crise d’égo de coureurs frustrés. Ce sont des signaux faibles. La crainte d’un trail qui se “marketise”. Le ras-le-bol d’un sport qui attire les caméras mais oublie parfois ses racines. L’impression que les parcours se standardisent, que l’esprit de la montagne cède aux logiques d’événementiel.
Mais en s’en prenant à une course qui n’a pas changé ses prix, le tir manque sa cible. Ce n’est pas le Trail des Passerelles qu’il faut blâmer. C’est peut-être le sentiment diffus que l’âme du trail s’érode lentement, noyée dans la com’, le merchandising, les formats préfabriqués.
En résumé, ce qui se joue ici dépasse un simple prix d’inscription. C’est un révélateur.
Le trail vit un moment charnière : entre tradition et modernité, entre esprit libre et logique d’événementiel. Et dans ce grand écart, les émotions débordent parfois les faits.
La “hausse de 30 euros” n’a pas eu lieu. Mais elle a cristallisé un malaise profond. Comme souvent, les révoltes naissent non pas des chiffres, mais des symboles.
Synthèse sociologique, dans ce cas précis, l’inflation ressentie est plus forte que l’inflation réelle.
Et c’est cela qui doit nous alerter : le trail devient un miroir des tensions sociales. Entre méfiance, fatigue économique et quête d’authenticité, il est à la croisée des chemins. Le malaise est réel. Mais il ne se lit pas dans un tableau Excel.
Il se lit dans ce qu’on ressent lorsqu’on remet un dossard : est-ce que ça vaut encore la peine ?
C’est cette question-là, la seule, qui brûle vraiment.
Références sociologiques et travaux utiles pour comprendre ce phénomène
Plusieurs travaux en sciences sociales éclairent précisément ces réactions collectives autour des prix. Le sociologue David Le Breton, dans ses recherches sur les pratiques de plein air, rappelle que la course en nature repose sur une culture de la gratuité, de la légèreté et du “retour à soi”, ce qui explique la sensibilité extrême à tout signe de marchandisation. Les travaux de Dominique Cardon sur les réseaux sociaux montrent également que l’indignation est l’émotion la plus virale : ce sont les messages outrés qui se propagent le plus vite, structurant souvent une perception collective avant même la vérification des faits. Du côté de l’économie du sport, Jean-François Bourg souligne depuis plusieurs années la montée d’un “sportif-consommateur” qui exige simultanément performance organisationnelle élevée et maîtrise des coûts, un paradoxe fertile en frustrations. Enfin, les recherches de Christian Bromberger sur les cultures sportives rappellent que les communautés passionnées développent rapidement une identité forte et défensive, surtout lorsqu’elles perçoivent une menace symbolique sur l’“âme” de leur pratique. Ensemble, ces travaux permettent de comprendre pourquoi une rumeur de hausse inexistante peut suffire à déclencher une vague d’indignation dans le monde du trail.
Sources
Lire nos précédents articles sur le trail des passerelles
- Facebook l’a rendu célèbre : le Trail des Passerelles revient
- Quand les organisateurs calculent mal la distance de leurs trails
- Le trail du Monteynard sous la passerelle cette année ?
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