Une enfance au bord du gouffre
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Quand elle court, elle pense parfois à ce jour où elle a failli ne pas se réveiller. Ce jour-là, elle avait deux ans, perdue dans les rues d’une capitale violente. Elle ne comprenait rien à ce qui se passait autour d’elle. Seulement que les gens avaient peur. Que son père ne reviendrait pas. Que sa mère n’était plus vraiment là.
Elle a grandi dans un pays en guerre contre lui-même. Dans une ville étouffée par la pauvreté et la violence. À une époque où les cartels de la drogue tuaient des enfants comme d’autres piétinent des fourmis. Elle, sa sœur et son frère ont survécu en restant soudés. S’accrocher à ceux qu’on aime, quand on n’a plus rien d’autre. Voilà la base.
Les autorités les ont retrouvés errants, sans repères, dans un quartier que même la police évite de nommer. Un coin surnommé « les portes de l’enfer ». Leur père y a été abattu. Leur mère, consumée par la drogue, venait encore leur glisser quelques pièces à travers la grille de l’école. Et puis, plus rien.
Changer de continent, changer de langue, changer de vie
Un couple américain décide de les adopter. C’est le début d’une autre histoire. Un avion, une langue inconnue, un chien, un jardin, des règles, des repas à heure fixe. Et surtout, une promesse : celle de pouvoir redevenir des enfants.
Ils apprennent vite. Ils s’aiment fort. Mais les blessures ne disparaissent pas. Elles se nichent ailleurs. Dans les silences. Dans les cauchemars. Et un jour, dans la course.
Le jour où elle a commencé à courir
Au collège, elle rejoint l’équipe de cross-country. Loin de la montagne. Juste des tours de stade. Elle n’aime pas ça, au début. Ce n’est pas le plaisir qu’elle cherche. C’est le contrôle. La douleur physique comme échappatoire à la douleur morale. Elle court pour se punir. Pour s’épuiser. Pour oublier. Et ça fonctionne… un temps.
Mais le corps craque. À 12 ans, elle est diagnostiquée anorexique. Trois séjours à l’hôpital. Des mois à lutter, pas seulement pour guérir, mais pour comprendre pourquoi elle souffre autant. Jusqu’au jour où elle comprend qu’elle ne court pas contre les autres. Elle court contre le passé.
Son frère le résume d’un mot : « Elle a réalisé qu’elle ne pourrait pas semer ses blessures. Il fallait les regarder en face. »
Une respiration dans la montagne
À l’université, elle rejoint une équipe de cross ambitieuse. Elle se bat. Elle progresse. Mais la pression monte. Elle se prive, de nouveau. Elle s’épuise. Le syndrome RED-S s’installe. Le plaisir disparaît. Elle arrête.
Après ses études, elle part faire un road trip avec sa mère adoptive. Elles passent par le Montana. Et là, c’est la révélation. Les montagnes. Les forêts. Le silence. Elle comprend que c’est ici qu’elle doit vivre. Loin des couloirs universitaires. Loin du chrono. Près du ciel.
Quelques mois plus tard, elle déménage. Elle devient guide de randonnée. Elle arpente les sentiers du Glacier National Park. Parfois trente kilomètres à pied, juste pour montrer un lac. Elle ne court plus. Pas encore. Mais ça revient doucement. Cette fois, sans montre. Sans compète. Juste pour sentir son souffle. Pour retrouver le plaisir d’être vivante.
Un premier dossard, un premier miracle
Un jour, elle entend parler d’un trail local, Run The Rut. Elle veut s’inscrire sur le 28 km. Son copain, lui aussi trailer, propose de s’en occuper. Il oublie. La seule distance restante : le 50 km. Elle accepte. Sans vraiment réaliser.
Elle prend le départ. Elle court à l’instinct. Aucun plan. Elle grimpe. Elle relance. Elle écoute son corps. À mi-course, elle est en tête. Elle termine première, avec le troisième meilleur temps de l’histoire. Devant des pros. Sans préparation. Elle ne sait pas encore, mais sa vie vient de basculer.
Une marque, un contrat, une renaissance
Dans le public, ce jour-là, un représentant de The North Face est là. Il remarque cette fille avec des paillettes sur les joues, des jambes solides, un regard clair. Il l’aborde. Quelques semaines plus tard, elle signe son premier contrat professionnel. Sans réseau. Sans palmarès. Juste avec une histoire. Et une foi en elle retrouvée.
L’année suivante, elle finit quatrième aux championnats du monde de trail à Innsbruck. Elle enchaîne les victoires, les podiums, les records. Mais elle ne change pas. Elle vit toujours à Missoula. Elle court encore ce sommet derrière chez elle. Elle reste cette fille discrète, qui écoute plus qu’elle ne parle. Et qui grimpe, toujours, comme si sa vie en dépendait.
Courir pour vivre, pas pour fuir
Elle ne veut pas devenir une machine. Elle veut ressentir. Rester connectée à ce qui l’a construite. Sa force, c’est son histoire. Pas ses watts. Pas son VO2. Elle court en liberté. Elle court en vérité. Elle court comme on respire après des années sans air.
Son compagnon raconte souvent leur première sortie ensemble. Elle avait encore peur de mal faire. Elle mettait pause sur sa montre à chaque montée trop technique. Il lui a dit : « Ici, on s’en fout du chrono. Ce qui compte, c’est d’être là. »
Depuis ce jour, elle ne court plus contre. Elle court avec. Avec son passé. Avec ses proches. Avec la montagne.
En résumé
C’est une histoire qu’on n’écrit pas. Qu’on vit, qu’on encaisse, qu’on reconstruit. Une histoire de rage, de douleur, de rédemption. Une histoire où les kilomètres ne sont pas des records, mais des cicatrices refermées.
Elle n’est pas née pour gagner. Elle est née pour survivre. Et aujourd’hui, elle gagne parce qu’elle a survécu.
Son nom ? Jenn Lichter.





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