La Barkley n’a jamais été conçue pour les stars. Encore moins pour les influenceurs. Et si Blanchard a gagné son ticket via la Fall Classic, ce raccourci pourrait bien lui coûter cher. Sur cette course mythique, l’humilité est obligatoire, et l’humiliation quasiment garantie.
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Un départ brouillé, une victoire confirmée… et le silence
Le scénario a de quoi troubler. Le matin du départ de la Barkley Fall Classic 2025, les tableaux de suivi en ligne affichent Mathieu Blanchard comme DNS – Did Not Start. Plusieurs médias français reprennent l’information et annoncent son forfait. Pourtant, quelques heures plus tard, les résultats officiels tombent : Blanchard a bel et bien pris le départ, il franchit l’arrivée en tête après 10 h 20 min 44 s et décroche son ticket direct pour la Barkley Marathons 2026. Deux vidéos, l’une de son départ, l’autre de son arrivée, viennent confirmer son exploit.
Là où on pouvait s’attendre à une explication immédiate – pourquoi ce DNS ? que s’est-il passé ? – Blanchard n’a rien dit.
Pas de débrief détaillé, pas de vidéo, pas même une story de course. Seule trace : une photo en noir et blanc, peau éraflée. Ce silence, inhabituel pour un athlète qui partage d’ordinaire chaque étape de son parcours, a nourri les interrogations. Certains en sont même venus à douter de sa participation réelle, malgré les preuves visuelles.
Un profil à contre-courant d’une course hors norme
Mathieu Blanchard est devenu l’un des visages les plus visibles du trail. Finaliste de Koh-Lanta, multiple médaillé sur les plus grands ultras de la planète, il a construit sa notoriété autant sur ses résultats que sur son rapport direct au public. Son quotidien s’expose à travers les réseaux sociaux, où il partage ses entraînements, ses réflexions, ses voyages. On le voit désormais aussi dans des rôles institutionnels : il est depuis peu coach pour Campus, l’application de coaching sportif, ce qui renforce encore son image de coureur accessible et pédagogue.
Blanchard assume aussi un côté plus léger, parfois décalé : on se souvient de lui vêtu en ananas cet été sur les sentiers de l’UTMB. Pour ses sponsors comme pour ses fans, il est devenu une figure « haut en couleurs », capable d’allier performance sportive et communication festive.
À l’opposé, la Barkley repose sur une esthétique radicalement différente.
Nuit, brouillard, froid et larmes au programme. Ici, aucune caméra ne suit les coureurs dans les bois du Tennessee, aucun live ne retransmet la progression. Le parcours n’est pas public, la carte n’est fournie qu’à la veille du départ, et l’unique voix qui raconte l’épreuve ne donne que des messages laconiques et cryptiques. Laz a toujours refusé la médiatisation directe, assumant son hostilité aux réseaux sociaux et aux récits trop bavards.
Les finishers historiques se conforment à cette logique.
Jared Campbell, seul triple finisher, s’est toujours montré discret, ne livrant que des comptes rendus sobres et peu diffusés. John Kelly, finisher en 2017, a publié un récit technique sur son site personnel, mais sans jamais révéler les détails interdits : il s’en tient à une narration mesurée, loin du registre visuel et expansif qui domine les réseaux sociaux. Quant à Jasmin Paris, première femme à boucler la course en 2024, elle s’est exprimée avec retenue, insistant sur l’expérience et l’humilité plutôt que sur le spectaculaire.
Mathieu Blanchard court-circuite le rituel d’inscription.
Entrer à la Barkley n’a jamais été une simple formalité. Le processus relève presque du rite initiatique, et chaque détail compte. Les candidats doivent d’abord envoyer un email à une adresse tenue secrète, révélée seulement à ceux qui savent « où chercher ». Cet envoi doit se faire à un moment très précis : trop tôt ou trop tard, la demande n’est pas prise en compte. À ce courriel doit s’ajouter un essai de motivation expliquant pourquoi le coureur mérite d’être accepté, ainsi qu’un CV sportif détaillant ses expériences en ultra-endurance.
Les nouveaux venus, appelés « virgins », doivent également apporter une plaque d’immatriculation de leur pays ou de leur État d’origine.
Ceux qui reviennent ont d’autres gages à fournir, souvent des objets insolites choisis par Lazarus Lake – on a vu par exemple des chemises à carreaux ou des chaussettes blanches. Le nombre de places est limité à environ 40, pour plusieurs centaines de candidatures chaque année. Les refusés sont placés sur une liste d’attente, qui accorde davantage de chances à ceux qui postulent depuis longtemps, renforçant l’idée d’un parcours de patience et d’humilité.
Les heureux élus reçoivent la fameuse « letter of condolences », une lettre d’acceptation rédigée sur le ton d’une condamnation : Laz leur annonce qu’ils vont échouer. Cette dramaturgie fait partie intégrante de l’esprit Barkley : personne n’arrive là par hasard, et encore moins par raccourci.
En remportant la Barkley Fall Classic, Mathieu Blanchard a obtenu un ticket automatique pour l’édition 2026.
C’est une règle prévue, officielle, mais marginale : elle permet de contourner le processus traditionnel, sans email à l’heure exacte ni attente. En pratique, ce gain de temps et d’effort constitue un privilège considérable. Mais dans l’univers de Lazarus Lake, attaché à ses rituels et à son culte de l’initiation, ce raccourci peut être perçu comme une entorse symbolique. A noter qu’aucun coureur ayant gagné son ticket d’entrée par cette voie n’a réussi à être finisher de la Barkley Marathon.
Blanchard se retrouve ainsi face à un défi implicite : prouver que, même arrivé par la voie rapide, il a compris l’esprit d’humilité de la maison.
La loi du silence selon Laz
La discrétion n’est pas une option à la Barkley, c’est une règle imposée par Lazarus Lake. Depuis des années, il a fait de son épreuve une course volontairement invisible. Le parcours reste secret, l’usage du GPS est interdit, les noms des participants ne doivent pas être divulgués avant ou pendant la course, sous peine de sanctions. Les équipes de Laz scrutent même les réseaux sociaux pour traquer les contrevenants.
En 2024, une étape supplémentaire a été franchie : un embargo total de 60 heures a été imposé aux coureurs.
Pendant toute la durée de la course, aucune communication avec l’extérieur n’était tolérée. Impossible pour la presse de donner des nouvelles des athlètes en course, sauf par le canal officiel de Keith Dunn sur X, où les messages restent volontairement laconiques et cryptiques, utilisant des surnoms.
Cette volonté de contrôle ne se limite pas à la communication. Laz pousse la logique jusqu’au calendrier. Il a annoncé que la Barkley n’aurait plus lieu au printemps mais désormais au cœur de l’hiver, à une date tenue secrète, modifiée d’année en année. La justification est claire : avec le réchauffement climatique, le mois de mars offrait des conditions jugées trop favorables – sol sec, météo clémente – ce qui affaiblissait l’esprit d’hostilité voulu pour l’épreuve. En avançant la course dans la saison, Laz garantit un terrain plus boueux, plus froid, plus incertain.
Dans cette logique, le silence de Mathieu Blanchard après sa victoire à la Barkley Fall Classic apparaît comme une nécessité.
Celui qui a choisi le raccourci doit désormais montrer qu’il sait respecter les codes implicites et explicites de Laz : accepter l’opacité, se plier aux règles, et disparaître dans le mystère qui fait la singularité de la Barkley.
Blanchard doit se montrer digne de la Barkley
La victoire à la Barkley Fall Classic a donné à Mathieu Blanchard son billet pour 2026. Mais ce sésame ne vaut pas encore acceptation : il ne fait qu’ouvrir la porte d’une épreuve qui a été pensée pour être impraticable.
Depuis ses débuts, Lazarus Lake conçoit la Barkley comme une machine à faire échouer, à broyer les meilleurs.
Chaque détail vise à réduire à néant les espoirs de ceux qui arrivent avec trop de certitudes. Comme il l’explique lui-même dans le documentaire The Race That Eats Its Young : « Si vous voulez affronter un vrai défi, il faut que ce soit un vrai défi. On ne peut rien accomplir sans la possibilité de l’échec. » Il cherche précisément ce point où la course est systématiquement presque impossible, mais pas tout à fait.
Mathieu Blanchard, lui, s’est bâti sur une logique inverse.
Sa trajectoire est celle d’un conquérant : podium à l’UTMB, victoire sur des courses extrêmes comme la Yukon Arctic Ultra, deuxième à la Hardrock. Son moteur est d’entrer sur une ligne de départ avec l’ambition d’aller jusqu’au bout, de se battre pour le podium, et de partager cette quête avec son public.
La Barkley ne récompense pas ce profil. Elle est faite pour humilier les meilleurs, pour démontrer que la volonté et l’entraînement ne suffisent pas toujours. Des coureurs parmi les plus respectés de la planète s’y sont cassé les dents, souvent plus d’une fois. La Barkley ne célèbre pas la conquête, elle impose l’humilité par l’échec.
Mathieu Blanchard a pris le raccourci de la Barkley Fall Classic, mais il ne pourra pas contourner l’esprit Barkley. S’il veut franchir la porte qu’il vient d’ouvrir, il devra apprendre à se taire, à accepter le mystère, et à se confronter à l’ogre sans chercher à le raconter. Le défi le plus dur qui l’attend n’est peut-être pas de courir la Barkley, mais de s’y perdre comme les autres, avec l’humilité de celui qui sait que l’échec est la règle.
Sources
https://ultrarunning.com/calendar/event/the-barkley-fall-classic/race/45884/results
https://my.raceresult.com/355197/results
https://randomforestrunner.com/2024/02/how-to-get-in-to-the-barkley-marathons/
https://ultrarunning.com/featured/the-man-behind-barkleys-live-updates/
https://marathonhandbook.com/meet-keith-dunn-the-mad-tweeter-of-the-barkley-marathons/
https://www.esprit-trail.com/barkley-marathons-2025-pourquoi-il-etait-impossible-de-la-finir/
https://run.outsideonline.com/people/lazarus-laz-lake-is-gary-cantrell/
https://www.onekmore.com/en/2018/08/14/the-barkley-marathons-the-race-that-eats-its-young-2014-89min-a-iltis-tj-kane/
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Ce texte adopte volontairement un ton critique, parfois provocateur, dans le but de nourrir le débat autour de la Barkley et de la place qu’y occupent les coureurs médiatiques. L’expression « se faire humilier » ne vise en aucun cas à dénigrer personnellement Mathieu Blanchard, dont le parcours sportif est remarquable. Elle reflète ici le fonctionnement même de la Barkley, une course conçue pour être quasi infaisable, où les meilleurs coureurs du monde échouent régulièrement.
Ce terme renvoie donc à une humiliation symbolique, inhérente à l’épreuve, assumée par son créateur Lazarus Lake, et souvent revendiquée par les participants eux-mêmes comme une leçon d’humilité. Le traitement de ce sujet repose sur des faits vérifiables et publics, et s’inscrit dans le cadre du droit à l’information et à la critique journalistique.