Il y a une tendance agaçante dans le monde du trail : certains aiment donner des leçons théoriques depuis leur canapé, brandissant par exemple des études pour affirmer que les bâtons ne servent à rien. À les entendre, ces accessoires ne feraient que gaspiller de l’énergie, augmenter la consommation d’oxygène et ralentir les coureurs. Pourtant, sur les sentiers, en montée comme en descente, la réalité est toute autre. Si la majorité des traileurs utilisent des bâtons, ce n’est pas pour faire joli. C’est parce que ça fonctionne. Et plutôt bien.
Les bâtons de trail, un outil omniprésent…
Regardez n’importe quel ultra de montagne : à l’UTMB, au Tor des Géants, à la Hardrock 100… la majorité des coureurs ont des bâtons dans les mains. Croyez-vous vraiment que ces athlètes, amateurs comme élites, trimballeraient du matériel inutile pendant 20, 30 ou 40 heures juste pour l’esthétique ? Bien sûr que non. Si les bâtons sont devenus quasiment incontournables, c’est parce qu’ils apportent un vrai plus sur le terrain. Et ce constat n’est pas basé sur une modélisation en laboratoire, mais sur des dizaines de milliers d’heures passées à crapahuter en montagne.
Une précision importante toutefois : à la Diagonale des Fous, comme sur les autres courses du Grand Raid de la Réunion, les bâtons sont interdits. L’organisation invoque à la fois des raisons de sécurité (sentiers étroits, passages techniques) et de préservation de l’environnement (zones classées UNESCO, parc national). Ceux qui s’y présentent doivent donc s’en passer… et ils vous diront à quel point c’est rude quand on s’est entraîné avec.
Ce que disent (certains) scientifiques
Les critiques s’appuient souvent sur des études montrant que l’utilisation des bâtons augmente la consommation d’oxygène. Des travaux comme ceux de Duncan (2008), Pellegrini (2018), Saunders (2008) ou Sugiyama (2013) montrent que marcher avec des bâtons consomme en moyenne 15 à 20 % de VO₂ en plus que sans. Ce surcoût énergétique a conduit certains entraîneurs à relativiser l’intérêt des bâtons, comme Mathieu Blanchard, qui déclarait récemment sur Campus Coach :
« Non, les bâtons ne “sauvent pas” ! C’est un biais marketing fréquent. Oui, ils peuvent soulager un peu les jambes en montée, mais ils demandent plus d’énergie et font monter le cardio, parfois +10 à +20 bpm pour la même allure. Résultat : tu peux exploser plus vite et finir plus lentement que sans bâtons. »
Et effectivement, sur terrain plat ou peu pentu, l’efficacité des bâtons est discutable, voire contre-productive. Ils deviennent même encombrants si l’on ne sait pas bien les plier ou les ranger.
Ce que dit l’expérience de terrain
Mais ces analyses oublient l’essentiel : le trail n’est pas une activité linéaire, mécanique, contrôlée. C’est du terrain accidenté, des montées interminables, des descentes cassantes, des appuis fuyants. Dans ces conditions, les bâtons deviennent un outil d’appui, de propulsion et de gestion musculaire. Et ils font toute la différence.
En descente : assurance et sécurité
Tous les traileurs expérimentés le savent : dans une descente raide et technique, les bâtons sont une aide précieuse. Ils permettent de ralentir la chute du corps, de mieux répartir le poids, de soulager les quadriceps et d’éviter les dérapages. Mais surtout, ils donnent de l’assurance. On ose aller plus vite, on freine mieux, on enchaîne les appuis avec plus de fluidité. Dans ces moments où la peur de la chute peut nous faire perdre de précieuses minutes (ou entraîner une blessure), les bâtons offrent un véritable gain mental et physique.
En montée : les jambes remercient
C’est en montée que leur utilité saute aux yeux. Dès que la pente dépasse 20 %, on sent un réel soulagement musculaire. Les bras prennent le relais des jambes, la charge est mieux répartie, les quadriceps brûlent moins vite. Une étude de Giovanelli et al. publiée en 2025 a montré que les bâtons réduisent jusqu’à 5 % l’effort mécanique fourni par les jambes en côte, sans augmentation significative de l’effort perçu. Le cardio ne monte pas forcément plus haut, et surtout : le rythme s’améliore. Sur tapis, les coureurs avec bâtons gagnaient 2 à 3 % de vitesse en côte, à effort équivalent.
Et que dire des trails où les bâtons sont interdits ? Pour ceux qui se sont entraînés avec, c’est un vrai choc. L’explosion musculaire est brutale, la sensation de perte de repère est immédiate. On comprend alors à quel point ils sont devenus indispensables.
Sur le plat : à condition de savoir s’en servir
Même sur des portions moins pentues, les bâtons peuvent faire la différence, à condition de maîtriser leur usage. En augmentant légèrement l’amplitude de foulée et en engageant le haut du corps, on peut gagner en propulsion. Certes, cela demande de la coordination et une certaine habitude. Mais ceux qui savent les manier gagnent en régularité, en efficacité et en endurance.
Tout dépend de comment on les utilise
Évidemment, les bâtons ne sont pas magiques. Mal utilisés, ils peuvent faire plus de mal que de bien : gêner les autres, perturber la foulée, augmenter inutilement la dépense énergétique. Mais bien utilisés, ils deviennent un levier stratégique.
Et surtout, ils permettent une chose fondamentale : économiser les jambes. En trail long, la priorité n’est pas de gagner 2 minutes au 20e kilomètre, mais d’arriver au 70e sans s’être cramé. C’est là que les bâtons changent tout. Ils permettent de durer, de retarder la fatigue musculaire, d’alléger la facture physique. À condition, évidemment, d’avoir appris à s’en servir à l’entraînement.
Les bâtons ne sont peut-être pas indispensables sur un 10 km plat, ni parfaits dans toutes les situations. Mais en trail, surtout en montagne, ils sont souvent la meilleure garantie de finir debout et entier. Ils ne sont pas là pour compenser une faiblesse, mais pour mieux répartir l’effort, économiser les jambes et durer plus longtemps.
Et surtout, il faut arrêter de penser que tous les traileurs cherchent à optimiser leur VO₂max ou à garder leur fréquence cardiaque sous contrôle à la seconde près. Le traileur amateur s’en fiche pas mal d’avoir 10 ou 20 battements de plus par minute, s’il évite les crampes, les cuisses qui brûlent et les descentes en canard. Ce qu’il veut, c’est aller au bout, avec le moins de casse possible. Et pour ça, les bâtons sont ses meilleurs alliés.
Alors aux pseudo-experts qui affirment que « les bâtons ne servent à rien », on ne demande pas une thèse ou une autre méta-analyse. On leur demande simplement de courir. Longtemps. En montée, en descente. Sur du vrai terrain. Et on en reparle.
Résumé
De plus en plus de voix pseudo-scientifiques affirment que les bâtons de trail seraient inutiles, voire contre-productifs. En s’appuyant sur des études pointant une hausse de la consommation d’oxygène, ces critiques oublient l’essentiel : l’expérience réelle des traileurs sur le terrain. En montée, les bâtons soulagent les quadriceps et améliorent la propulsion. En descente, ils renforcent la stabilité et la sécurité. Même sur le plat, bien utilisés, ils permettent de maintenir un rythme fluide. S’ils demandent un apprentissage, ils restent, pour les amateurs comme pour les élites, un outil d’endurance et d’économie musculaire. Ceux qui les critiquent devraient simplement courir, en vrai, en montagne. Et on en reparlera.
FAQ – Tout savoir sur l’utilisation des bâtons en trail
À partir de quelle pente les bâtons deviennent-ils vraiment efficaces en montée ?
Les études scientifiques montrent qu’il existe un « point de bascule métabolique », à partir duquel l’utilisation des bâtons devient plus économique que leur non-utilisation. Ce point est généralement situé autour de 26 % de pente. Toutefois, certaines recherches, comme celles de Giovanelli et al., estiment que des effets bénéfiques peuvent apparaître dès 15 %, notamment chez les coureurs entraînés à leur usage. En clair, plus la pente est raide, plus les bâtons sont utiles.
Est-ce que les bâtons augmentent la consommation d’oxygène ?
Oui, et c’est un argument souvent utilisé par leurs détracteurs. Plusieurs études (Duncan 2008, Pellegrini 2018, Sugiyama 2013…) ont constaté une augmentation de 15 à 20 % de la consommation de VO₂ lors de l’utilisation des bâtons. Toutefois, cette surconsommation ne s’accompagne pas toujours d’une hausse de l’effort perçu, surtout en montée. Cela signifie que les bâtons peuvent aider à mieux répartir l’effort sans forcément épuiser davantage le coureur.
Quel est le meilleur style d’utilisation des bâtons en montée ?
Il existe deux techniques principales. La technique « alternée » consiste à planter un bâton à chaque pas, en opposition avec la jambe d’appui, ce qui permet une continuité du mouvement et une propulsion naturelle. La technique « simultanée », quant à elle, consiste à planter les deux bâtons en même temps pour se hisser sur trois pas. Elle est particulièrement utile dans les pentes très raides, mais elle est aussi plus exigeante physiquement. Dans les deux cas, il est essentiel de garder les épaules souples et de ne pas s’agripper aux bâtons comme à une corde de rappel.
Peut-on utiliser les bâtons en descente ?
Oui, à condition d’être à l’aise techniquement. En descente, les bâtons permettent d’améliorer la stabilité, d’anticiper les appuis et de réduire la charge sur les quadriceps. Ils sont utiles pour sécuriser les sauts ou franchir des marches naturelles. Mais attention : ils réduisent ta capacité à utiliser tes mains en cas de chute, et peuvent même aggraver les blessures si tu ne sais pas les lâcher à temps. D’où l’importance de s’entraîner à les manipuler dans des terrains techniques.
Les bâtons sont-ils utiles sur le plat ?
Sur terrain plat ou en faux plat, leur utilité est plus limitée. Si tu les utilises, adopte une technique dite du « galop », inspirée du ski de fond : un appui tous les trois pas pour maintenir une propulsion fluide sans trop de dépense. Cette utilisation demande de la coordination et un bon relâchement. Mal maîtrisés, ils risquent de perturber ta foulée naturelle plus qu’autre chose.
Quel matériau faut-il privilégier : carbone ou aluminium ?
Le carbone est léger, performant et absorbe mieux les vibrations, mais il est plus fragile et coûteux. L’aluminium est plus lourd, mais bien plus résistant aux chocs et moins cher. Si tu es débutant ou si tu veux un modèle robuste pour l’entraînement, l’aluminium est un bon choix. Si tu cherches à optimiser chaque gramme pour la compétition, le carbone sera plus adapté.
Faut-il des bâtons pliables, télescopiques ou fixes ?
Les bâtons pliables (souvent en 3 brins) sont les plus populaires en trail : faciles à ranger dans un carquois ou un gilet, légers et adaptés aux compétitions. Les télescopiques permettent d’ajuster la longueur selon le terrain, ce qui peut être un avantage en ultra. Les fixes, ultra légers, sont peu encombrants mais difficilement transportables. Ils conviennent surtout aux experts sur des formats courts et spécifiques.
Comment choisir la bonne taille ?
La règle générale est simple : lorsque tu tiens le bâton, ton bras doit former un angle de 90° au niveau du coude. Si tu hésites entre deux tailles, privilégie un peu plus court pour les profils très montants, et un peu plus long pour les descentes. Les fabricants proposent tous un guide de taille précis, à consulter selon ta morphologie.
Les bâtons sont-ils autorisés en compétition ?
Pas toujours. Ils sont interdits à la Diagonale des Fous, mais largement autorisés sur des courses comme l’UTMB, la Hardrock 100 ou le Tor des Géants. Certaines organisations les interdisent aussi sur les formats courts, notamment pour protéger les sentiers ou pour des raisons de sécurité. Toujours vérifier le règlement avant une course pour éviter les mauvaises surprises.
Quelles sont les erreurs les plus fréquentes avec les bâtons ?
La première, c’est de les emporter sans jamais s’être entraîné avec. C’est comme courir un trail en chaussures neuves. Deuxième erreur : choisir une mauvaise taille, trop longue ou trop courte, ce qui peut provoquer des douleurs ou un geste inefficace. Troisième piège : les sortir et les replier trop souvent en course, ce qui perturbe ton rythme. Enfin, méfie-toi des mouvements trop amples ou mal contrôlés : un bâton mal dirigé peut blesser un autre coureur. Le respect et la technique sont les clés d’un usage efficace et sécuritaire.