Pourquoi on court : entre blessure narcissique et quête de rédemption
Courir n’est pas qu’une activité physique. C’est une scène intime où se rejouent des dynamiques psychologiques profondes, souvent inconscientes. En trail ou sur route, derrière chaque foulée se cache un besoin archaïque : se prouver quelque chose. Mais quoi exactement ? Que l’on est vivant ? Fort ? Aimable ? Suffisant ? Ce besoin de se dépasser interroge nos blessures les plus anciennes, nos mécanismes de défense les plus tenaces et, parfois, nos failles les plus douloureuses.
Courir : le dépassement de soi, ou l’écho de la blessure narcissique
Dès l’enfance, nous construisons notre image de nous-même dans le regard des autres. Selon la théorie du moi-peau d’Anzieu, le corps devient un support symbolique de l’identité. Or, courir, c’est précisément inscrire dans la chair une réponse à un sentiment d’insuffisance. Quand le narcissisme primaire a été ébréché – par le rejet, l’indifférence, l’humiliation ou simplement l’absence –, il peut se réparer en avalanches d’efforts. L’ultra devient alors une catharsis. On court non pas seulement pour aller plus loin… mais pour être reconnu, même de façon silencieuse. Surtout par soi-même.
La compulsion de répétition et l’ivresse du combat
Freud évoquait la « compulsion de répétition » : ce besoin incoercible de revivre les traumatismes pour, enfin, les maîtriser. Le trail, avec ses douleurs, ses murs, ses moments de solitude et de doute, rejoue ces scènes intérieures. On se place volontairement dans des situations de lutte. Pas tant pour souffrir que pour conjurer, revivre autrement ce que l’on n’a pas su affronter jadis. Comme si chaque course était une nouvelle tentative de réécriture d’un script passé.
Le surmoi sportif : cette voix qui exige toujours plus
Chez de nombreux coureurs, le surmoi – cette instance morale intériorisée – devient un coach intérieur implacable. Il ne suffit pas de courir, il faut faire mieux qu’hier. Plus long, plus vite, plus fort. Sinon ? Sinon, la honte. La culpabilité. L’impression d’être médiocre. La course devient alors un jugement. Et le dossard, un tribunal. Derrière l’apparente légèreté des baskets se joue un drame intérieur où l’on essaie d’obtenir le quitus d’un parent intérieur sévère.
L’illusion du contrôle dans un monde incertain
Dans une époque marquée par l’anxiété, l’incertitude et la perte de repères, courir offre une illusion de maîtrise. Comme le soulignait Viktor Frankl, le sens se construit souvent dans l’effort et la souffrance. Paradoxalement, on retrouve dans la course une liberté dans la contrainte. Une autonomie dans la répétition. Et ce sentiment d’être aux commandes, ne serait-ce que de son propre corps, est un baume contre la chaos du monde.
courir pour se réparer
La course à pied, et plus encore le trail, agit comme un miroir de l’âme. Ce n’est pas une fuite, mais une tentative de réconciliation. Avec le passé, avec soi-même, avec ce que l’on croit devoir être. Courir, c’est hurler sans bruit. C’est gravir une montagne extérieure pour tenter d’en redescendre une intérieure. Et si le dépassement de soi était surtout un appel au secours ? Une façon de crier au monde : « Regardez, je suis là. Et j’ai survécu. »